TIKEN JAH FAKOLY. Prophète d’une nouvelle Afrique

Il vise des « marchands d’illusions »

Dans son premier album « Mangercratie » (1996), Tiken Jah dresse un bilan amer du monde dans lequel il vit et dans lequel il dit perdre ses forces de guide. Dans sa chanson « Délivrance » il en appelle à Dieu pour l’’aider. Tiken dit avoir protesté contre « le racisme, le tribalisme » …en vain, …il dit s’’être invectivé contre les « conflits, la répression et l’’oppression »… mais en vain. …Le monde continue selon lui à s’’indexer sur le « capital » sans que « la moralité » soit considérée comme « capitale ». Sa diatribe est teintée de religiosité : « j’’ai le sentiment de prêcher nuit et jour dans un désert […] au secours mon Dieu, délivrance mon Dieu ».

Dans la chanson « Mangercratie » Tiken Jah dénonce des peuples africains utilisés « comme des chameaux dans des conditions qu’’on déplore …ils nous emmènent souvent en bateau vers des destinations qu’’on ignore…. Ils allument le feu, ils l’’attisent et après ils viennent jouer aux pompiers ». Il essaie d’’ouvrir les consciences d’’un sombre « allez dire aux marchands d’illusion que nos consciences ne sont pas à vendre ». Il y a aussi cette allusion à la perfide « Babylone » dont les dirigeants africains seraient les « complices ».

Dans « Plus jamais ça » Tiken Jah condamne la méthode employée par les rebelles anti-gouvernementaux et le peuple qu’’ils soudoient pour faire parler d’’eux. Il parle de « bus qui s’’enflamment » et de « maisons en feu » qui sont une destruction « de nos acquis ». Tiken Jah parle au nom du peuple ivoirien et lui fait dire que l’’on « a déconné ». Mais il condamne tout autant la répression gouvernementale : « pourquoi réprimer les citoyens… au nom de quelle politique ? », demande-t-il…

Dans l’’album « Françafrique » en 2002, Tiken Jah Fakoly prend davantage partie, ses idées paraissent plus claires, ses constats sont plus appuyés. Les refrains et la rythmique restent tout aussi séduisants pour les oreilles. Avec « Le Balayeur » il s’’attaque à l’’ex-président de Côte d’Ivoire Henri Konan Bédié, qui fut « balayé » du pouvoir en 1999 par le général Guei. Konan Bédié avait créé de toutes pièces le principe national de l’’Ivoirité : sous le régime de cet homme bien des Burkinabés, des Guinéens et autres gens qui vivaient en Côte d’Ivoire de père en fils depuis plus de 50 ans se sont vus mettre à la porte du pays à cause de leur non-appartenance ivoirienne fraîchement définie et décrétée par ce Konan Bédié (abolition de citoyenneté, fin de leur droit de vote, interdit de séjour, etc…). Cet ex-président souffre sous les coups de boutoir des mots et de la mélodie de Tiken Jah Fakoly. Ce dernier parle d’’un « balayeur balayé », qui promettait aux Ivoiriens de l’’emploi et de la croissance économique nouvelle par son nettoyage du pays : « arrivé comme un héros il est reparti à zéro ; arrivé comme un ami il est reparti comme un ennemi ». Tiken fustige sa politique nationaliste à travers ses expressions cyniques « je l’’avais pourtant prévenu de la déception de mon peuple […] il se croyait le plus malin il a eu plus malin que lui ; il se croyait le plus intelligent il a eu plus intelligent que lui ». Dans un entretien livré au site internet zabaniet.com le 5 février 2006 Tiken Jah Fakoly explique ses propos : « c’’est ce monsieur (le président Konan Bédié) qui a créé le concept de l’’ivoirité parce que, tout simplement, il voulait empêcher certains de ses adversaires potentiels de se présenter contre lui aux élections. Comme son adversaire Alassane Ouattara avait un nom à consonance malienne ou burkinabé il l’a fustigé comme non-ivoirien …et tout a commencé par ça ». Sous-entendu que l’’application de ce concept de l’’ivoirité allait s’’appliquer à tout le peuple ivoirien sitôt son élection présidentielle faite.

Dans la chanson « Le pays va mal » Tiken Jah parle des conséquences de ce concept d’’ivoirité : « mon pays va mal …l’’armée est divisée, les étudiants sont divisés, le pays est divisé même nos mères au marché sont divisées ». Il énonce quelques causes : la justice parti prenante plus qu’’arbitraire, le tribalisme, la xénophobie….

Quid de la Françafrique ?

Dans « Françafrique » il s’’attaque à la difficile complicité franco-africaine : « la politique France Africa c’’est du blaguer tuer ». Il fustige la France comme les fournisseurs des armes avec lesquels rebelles et peuple ivoiriens se battent. Il parle d’’un pillage des richesses, de la ruine du Gabon et d’’autres pays comme le Congo ou l’’Angola. L’’activité française « cautionnent la dictature tout ça pour nous affamer ils pillent nos richesses pour nous enterrer vivants ». Il en appelle à la « vigilance et résistance » voire à un réveil patriotique.

Dans « Justice » Tiken Jah dénonce une justice à deux étages, faisant la protection des grands du pays contre le peuple : « ces gens-là on a l’’impression qu’’ils sont au-dessus et que nous on est toujours victimes ». Il dénonce des enquêtes judiciaires lancées sur certains politiques ivoiriens qui sont tuées dans l’œ’oeuf et les remises en liberté qui sont fruit de combines.

Dans « Politiciens » un couplet vient noircir la condition d’’homme politique et d’’élu : « Les hommes de nos jours sont fourbes. Les politiciens sont des menteurs nés. Quand arrive la période des élections ils viendront raconter de nouveaux mensonges. Chaque jour c’est la même manie mythomaniaque. Toujours de nouvelles promesses ».

La chanson « Y’’en a marre » tire le signal d’’alarme. Tiken dénonce une Afrique oubliée et où « les aides aux pays (sont) détournées, les populations (sont) affamées, les fonds du pays (Côte d’Ivoire) sont dilapidées, les droits de l’’homme (sont) ignorées… ». Il fait même un brin d’’histoire en lançant un constat cinglant envers les principaux coupables de cette Afrique souffrante : « après l’’abolition de l’’esclavage ils (les Occidentaux/ le Nord / les pays développés) ont créé la colonisation, lorsque l’’on a trouvé la solution ils ont créé la coopération. Comme on dénonce cette situation ils ont créé la mondialisation. Et sans expliquer la mondialisation c’’est Babylone qui nous exploite ». Il parle d’’une Afrique où gisent des « présidents assassins, des généraux aux commandes, des enfants militaires, des orphelins de guerre ». Ces gens qui à travers les mots de Tiken Jah deviennent les victimes et les acteurs de « machinations, manipulations, exploitations, oppression ».

Tiken Jah s’’adresse au peuple blanc lorsque dans « Nazara » il rappelle que ses « ancêtres ont subi les travaux forcés (et) ont combattu pendant les deux grandes guerres ». Il parle d’’un manque de reconnaissance de la part des « blancs ».

Un peu de géopolitique mondiale, contre la vision occidentale

Avec son album « Coup d’’gueule » (2004), Tiken Jah prend du recul sur le monde qu’’il dénonce toujours. Avec « Plus rien ne m’étonnes » il se donne l’’occasion de faire un peu de géopolitique mondiale en abîmant l’’image des occidentaux. Il dénonce un partage du monde sous couvert de mensonges publiques et de braderies internationales où certains pays et certaines régions ne sont que de la marchandise : « ils ont partagé le monde […] si tu me laisses la Tchétchénie moi je te laisse l’’Arménie, si tu me laisses l’’Afghanistan moi je te laisse le Pakistan, etc… ». La main-mise et le partage des gisements africains : « si tu me laisses l’’uranium moi je te laisse l’’aluminium, etc… ». Puis place la course aux gisements énergétiques comme un facteur de cette braderie internationale : « si tu me laisses tes gisements moi je t’’aide à chasser les Talibans ». Il finit par un cinglant puzzle africain qui s’’est fait dépecer vivant par les grands de ce monde et ce, sans aucune moralité ni aucun respect du vivant et des ethnies qui peuplent le continent : « ils ont partagé l’’Africa sans nous consulter […] une partie de l’’empire Mandingue se trouva chez les Wollofs, une partie de l’’empire Mossi se trouva dans le Ghana. Une partie de l’’empire Soussou se trouva dans l’’empire Mandingue. Une partie de l’’empire Mandingue se trouva chez les Mossi. Ils ont partagé Africa, sans nous consulter ! Sans nous demander ! » . Une manière de justifier les guerres tribales qui déchirent le continent africain….

Tiken Jah Fakoly ne s’’arrête pas là : il attaque les politiciens dans « Quitte le pouvoir », dénonce l’’impact de la mondialisation dans « Tonton d’’America » et l’’hypocrisie de la dette africaine dans « L’’Afrique doit du fric ». Dans « Quitte le pouvoir » il demande au président ivoirien de quitter le pouvoir « si vous aimez votre peuple […] une minute de trop 100 cadavres de plus 100 cadavres de trop ». Sa chanson « Sauver » ressemble à un cri de l’’intérieur car Tiken Jah s’’enferme dans la description de son pays (« viols, tueries, chasses, corruption des politiques ») tout en appelant à l’’aide aux instances internationales : « ONU, les droits de l’homme ».… Il parle d’’innocents qui meurent, de politiques « assassins », en clair d’’un pays laissé à l’’abandon et délaissé aux marges du centre humain et réglé par les lois nationales et internationales.

Haro sur les Etats-Unis

Même les Etats-Unis prennent un coup de massue lorsque dans « Tonton d’’America » Tiken Jah décrit une aide américaine superficielle, trop superficielle au regard des problèmes profonds de son peuple. Extraits : « Il nous a donné la recette du bonheur il nous a même donné l’’heure…..il était beau comme un paquet de clopes avec dans sa hotte la dernière game boy et des jouets qui valaient une fortune et une fusée pour aller sur la Lune …on a joué, quand les piles se sont usées le cow-boy a repris sa game boy…il a dit aux moutons : fini de danser c’’est moi le shériff. On a beau dire mais quand on est nu on souhaite la bienvenue…..on est tous assis à faire une dictée, manger la même bouillie dans l’’assiette, …il a pris nos cheveux c’’était la coupe afro …il a pris tous nos cafés….il est parti sans nous laisser la marche à suivre …tonton d’’America ».

Tiken Jah Fakoly tourne en dérision la pertinence de la dette africaine dans « L’’Afrique doit du fric ». Extraits : « Afrique esclavagisée, colonisée, martyrisée, dévalisée…ainsi dont l’’Afrique doit encore du fric…. Les montagnes de fric volé par la « Françafrique »…les tyrans complices les gardant dans des comptes en Suisse… ainsi dont l’’Afrique doit du fric…la solde des mercenaires et les armes des tortionnaires les milliards de francs volés à des pays souffrant… les sales sous des sales sous…. Ainsi dont l’’Afrique doit du fric…. Est-ce que l’’afrique doit encore..non…. Après 400 ans d’’esclavage . Plusieurs années de travaux forcés… des milliers d’’entreprises qui pillent…. Le complot du FMI …les planques de la banque mondiale …des milliards d’’euros volés par des bandes d’’escrocs…. Les présidents africains sont complices de ces trafics…. Ainsi dont l’’Afrique doit du fric… », dixit Tiken Jah Fakoly.

Dans la chanson « ça va faire mal » Tiken Jah s’’amuse à imaginer un monde possible de type hegelien où l’’unité africaine autoriserait un avenir bien meilleur : « comme les Etats-Unis ça va faire mal… comme le Royaume-Uni… on pourra contrôler, on sera respecté, on pourra dialoguer, on pourra s’’imposer …ça va les étonner… de nous voir évoluer…on pourra s’’opposer à ce qu’’ils veulent imposer, on pourra résister aux pays développés, on pourra bien lutter contre la pauvreté. Faisons donc attention à toutes ces oppressions. Evitons toutes les exactions pour que nous nous rassemblions car c’’est l’unique solution. Attention à toutes ces divisions… et surtout évitons d’’être l’’herbe des moutons… », dixit Tiken Jah Fakoly.

« L’Union Africaine, il n’y a que ça pour nous sauver »

Dans un entretien accordé au site Grioo.com en avril 2005, Tiken Jah Fakoly expliquait d’’où viendra le salut pour le peuple africain : l’’instance de l’’Union Africaine. Il refuse de voir perdurer la main mise militaire française en Côte d’Ivoire pour combattre les problèmes causés par l’’Ivoirité et d’’en arriver à un Irak-bis, où les Américains résolvent maladroitement le problème d’’un peuple soumis à une dictature. «  Le combat que l’’Occident mène contre nous est limpide, c’est-à-dire que le souhait de Jacques Chirac c’’est que le français ne doit pas manquer de café le matin, alors il va le chercher où il veut, et si il doit diviser pour avoir nos ressources, il va le faire. On le voit bien aujourd’’hui avec l’’Irak, son pétrole a provoqué une situation catastrophique. Je pense que si Saddam Hussein n’’avait pas massacré son peuple, si les Irakiens étaient restés ensemble avec un chef d’’Etat élu démocratiquement, ils auraient pu trouver une solution. Le fait que le peuple soit divisé, que Saddam Hussein soit resté président pendant de nombreuses années en tuant des gens et que ses ennemis ne pouvaient s’’exprimer devant lui, tout cela a aidé les américains. Ainsi je dois rester optimiste pour continuer à promouvoir l’’Union Africaine, il n’’y a que ça pour nous sauver ».

« Je suis donc en exil pour des raisons de sécurité »

La virulence des paroles de Tiken Jah Fakoly va peut être faire école, car depuis qu’’il a monté sa propre boîte de production à Bamako, il se met à produire de jeunes artistes dont la qualité première est d’’avoir quelque chose à dire. Comme l’’explique Tiken Jah : « La volonté de vouloir faire passer un message revendicatif sera la condition indispensable pour que j’’enregistre un artiste ». Dans l’’attente de voir sa chère Côte d’’Ivoire à l’’image de ses espoirs, Tiken Jah vit dans l’exil : « Je me lève pour lutter contre tous ceux qui détruisent mon pays avec le concept de l’’Ivoirité qui ressemble aux idées du Front National en France. Je suis donc en exil pour des raisons de sécurité, et comme j’’ai conscience d’’être sur le bon chemin je sais que je vais rentrer en Côte d’’Ivoire. Il faudrait simplement que des élections libres et transparentes soient organisées pour virer ceux qui sont au pouvoir aujourd’’hui car je sais qu’’ils n’’ont pas la majorité. » (entretien accordé à Grioo.com le 4 avril 2005.

ARTICLE rédigé sur un autre média en décembre 2006…

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