LA BATAILLE D’ALGER (Gillo Pontecorvo -1966)

Avant-goût  

Plus qu’'un film d'’histoire, La Bataille d'’Alger est un docu-fiction mélangeant images d'’archives et reconstitution. Le tout fruit d'’un reportage tourné dans la casbah même d’'Alger entre 1954 et 1957, soit pendant les premiers heurts entre français d’'Alger et autochtones algérois. Les auteurs sont italiens, Gillo Pontecorvo et Franco Solinas. Interdit de sortie nationale en France, en 1966, il a de nouveau été autorisé à sortir en 1971… mais l’'affaire tourne court : il est encore retiré de toutes les salles obscures, suite à des pressions et des menaces.  Cela montre que ce docu-fiction contenait de grandes vérités que les Français ne devaient pas savoir. Depuis le 11 septembre 2001, La Bataille d’'Alger a été projeté dans des camps de formation de GI’'s américain (marines), avant de partir en Irak, où ils auraient notamment à exercer la possible lutte contre une forme de guérilla urbaine dans Bagdad. C’'est en effet une des précieuses vérités que nous livre ce film : la démonstration de nouvelles méthodes de lutte armée employées par l’'armée française à Alger, alliant la torture au nettoyage de secteurs tenus par les têtes pensantes du FLN algérois (Front de Libération Nationale). 

Pitch         

1954, Alger. Ali La Pointe est recruté par le FLN. Commençant par des attaques isolées contre des agents de police français, il finit par s’’ériger dans le cercle des quatre « chefs d’’état-major » du FLN algérois. En suivant Ali La pointe, on suit également la surenchère de violence dont le FLN, les services spéciaux français et l’’armée du colonel Matthieu sont les grands acteurs. L’’angle de vue des victimes est aussi montré. Une anatomie objective de la montée de la violence dans les rues d’’Alger, de 1954 à 1957, avec reconstitution audacieuse mais réussie des poses de bombes dans les cafés de la Cité européenne, provoquant la haine des français algérois envers les autochtones algérois, provoquant l’’arrivée de contingents de paras français pour ceinturer la Casbah et y capturer les aides du FLN. Et ce… jusqu’’en 1957 et la décriée « opération Champagne » du colonel Matthieu. Désormais l’’armée française allait utiliser de nouvelles méthodes de torture pour faire parler au plus vite leurs captifs algérois et parvenir à faire tomber l’ ‘« état-major » de la section algéroise du FLN. Soit quatre hommes dont un certain Ali La Pointe avec qui on commence le film dans l’’atmosphère de 1954 (actes isolés contre des agents de police) et avec qui on finit le film (1957-1960).

Avis pour celles et ceux qui ne l’’ont pas vu :

Un film à ne pas rater pour les férus de la question algérienne, ni pour les historiens en herbe, les sciences po en herbe, et pour tous ceux qui aiment le cinéma en tant qu'’art. La Bataille d'’Alger est une sorte de docu-fiction qui n'’a pratiquement rien de fictionnel d'’autre que les instants de reconstitution. Mais ils sont tellement crédibles au plan du grain de la pellicule, qu'’ils se fondent dans la masse d'’images authentiques. Le film est grand, et était malheureusement trop brillant et trop en avance sur son temps, pour que le gouvernement français ne décide, en 1966, de l’'autoriser à sortir. 

La Bataille d’’Alger décrit de 1954 à 1957 la guérilla urbaine mettant aux prises les nationalistes algériens du FLN (Front de libération nationale) contre les soldats du colonel français Matthieu. C’’est tellement objectif et sans partis pris, que ce film est un véritable monument de la connaissance historique, tout en étant un plaisir de cinéphile à lui tout seul, grâce à son cadre authentique, et à son faible recul sur les événements d’’Alger. Les autorités algériennes ont subventionné et supervisé le travail de Franco Solinas et Gillo Pontecorvo, qui ont pu, caméra à l’’épaule filmer ce qui était filmable, reconstituer ce qui s’’avérait possible. Parmi leurs superviseurs on trouve Yacef Saadi, directeur de Casbah Films, et ancien chef politique du FLN algérois. Celui-ci joue aussi son propre rôle dans le film, et a concouru à élaborer le scénario avec ses souvenirs personnels. Alors si on se penche sur le film en lui-même on peut légitimement dire que les scènes de torture ont concouru à l’’interdiction nationale. Mais il y a aussi la méthode de l’’armée française de profiter de la grève lancée par le FLN pour débusquer et interroger tous les grévistes sur leur appartenance au FLN. Méthode immorale, qui a pu effrayer les politiques français lors de la sortie nationale du film. D’’où son interdiction.

Avis pour celles et ceux qui l’’ont vu :

Sans aucun partis pris entre les tortures des paras français et les poseurs de bombes du FLN, La Bataille d’’Alger décrit avec force le cercle vicieux de la violence urbaine qui s’’installe à Alger mi-1954, pour se surenchérir sans cesse jusque 1957. Ce cercle vicieux est décrit effectivement avec objectivité et impartialité, sans effets de style, sans fioritures anhistoriques. Le processus de la violence légitime commencerait d’’après le film par des actes terroristes isolés, commandités par le FLN, contre des agents de police notamment, en 1954. Les Français d’’Alger développent alors une haine, une xénophobie envers les « autochtones » algérois.

Les services spéciaux français sont les premiers à s’’opposer au FLN, en plastiquant à la bombe des bâtiments et foyers de nationalistes algérois supposés. Du coup, d’’après la version du film, le FLN se met lui aussi à la bombe : recrutement de femmes algéroises qui abandonnent leur panier plastiqué dans des lieux publics, des bars très fréquentés par les Français d’’Alger. On est alors en 1955-56. La peur est définitivement installée, l’’insécurité voile la vie de la Cité Européenne (quartier français d’’Alger, quartier d’’affaires aussi, centre-ville moderne d’’Alger par la même occasion).  Le colonel Matthieu et ses paras sont alors envoyés en urgence à Alger, pour rétablir coûte que coûte la situation. L’’ « opération Champagne » naît alors, fin 1956, avec pour objectif principal de se servir de la grève lancée par le FLN algérois pour savoir qui est affilié à ce groupuscule nationaliste. Tous ceux qui font la grève sont interrogés, non sans violence, et une propagande est organisée, disant aux Algérois : « le FLN veut vous pousser à la grève ! ». L’’opération « Champagne » est un demi-succès, le 5 février 1957 est le dernier jour de grève, car l’’armée française oblige par la force les commerçants algérois à rouvrir leur boutique partout dans la casbah (centre historique d’’Alger, devenu sous le colonialisme français une sorte de ghetto en étant supplanté par un nouveau centre : la Cité Européenne).

Ayant désorganisé le FLN algérois, en capturant des aides du groupuscule, les paras du colonel Matthieu continuent d’’occuper la casbah nuit et jour. Mais des cinq secteurs urbains du FLN, un s’’est réorganisé plus rapidement que les autres, et parvient à poser et faire exploser une bombe à l’’hippodrome d’Alger, fréquenté presque exclusivement que par des Français d’’Alger (25 février 1957). Faisant beaucoup de morts, cette bombe déclenche une surenchère de violence contractée par les paras de Matthieu : la torture. Le but est de débusquer les chefs du FLN algérois, dont ils ont les noms, mais dont ils ne savent pas du tout la localisation. Le procédé de torture est barbare, utilisant des chalumeaux, ou des pincettes à courant électrique pour faire parler en moins de 24 heures. Selon le colonel Matthieu, « après 24 heures ils lâchent le morceau, sachant pertinemment que ce qu’’ils savent est devenu caduque, c’’est pourquoi nous devons les faire parler en moins de 24 heures ! ». Le chef Djaafar (campé par Saadi Yacef lui-même, rôle biographique) tombe le 24 septembre 1957, Ali La Pointe tombe fin 1957. Le FLN algérois est décapité …et le colonel Matthieu se complaît à dire « le plus dur est fait, les rebelles des montagnes seront plus faciles à vaincre encore ! ». Après deux ans d’’accalmie, d’’énormes manifestations anti-françaises enveniment le tout Alger, le 11 décembre 1960. Le gouvernement ne comprend rien : …le film s’’arrête là-dessus, non sans dire que trois ans plus tard, l’’Algérie serait rendue aux Algériens.

Lion d’'Or à Venise, prix de la critique à Cannes, trois nominations aux Oscars, La Bataille d’'Alger est un pur film historique, mais il échoue selon moi à extrapoler le concept tant usité des historiens d’'une « victoire militaire française pour une défaite politique ». 

Casting principal :

Jean Martin (colonel Matthieu) ; Yacef Saadi (Djafar / 2ème plan au centre de la photo) ; Brahim Haggiag (Ali La Pointe / droite photo); Ugo Paletti (le capitaine); Fusia El Kader (Halima). Musique d’’Ennio Morricone.

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