CITIZEN KANE (Orson Welles – 1941)
Avant-goût
Désigné en 2002 « meilleur film de tous les temps » par un concert de réalisateurs internationaux, Citizen Kane a bouleversé le cinéma moderne, en s’inscrivant notamment comme un pionnier concernant certaines techniques de mise en scène et de réalisation. Mais si la technique a fait des petits, notamment auprès de nos frenchy de la Nouvelle Vague 10-15 ans après, le fond d’intrigue ne reste pas .
Pitch
Le magnat de la presse américain Charles Foster Kane meurt dans son lit en ayant ce mot ultime : « rosebud ». Un journaliste décide d’enquêter sur la signification de ce mot et, au-delà sur la vie de ce Kane. Il commence à s’entretenir avec bien des gens qui ont eu affaire un jour ou l’autre à Kane
Avis
Puisquil est considéré comme film culte, il convient de faire une critique non pas seulement du film en tant que tel, mais aussi de cet état de fait : son statut légèrement discutable de film culte. D’abord je dois dire qu’au regard de ce qui se faisait en son époque, Orson Welles a innové grandement. Au plan technique j’entends. La contre-plongée devient plus fréquente dans Citizen Kane que partout ailleurs en son temps et les plans séquences surprennent énormément pendant toutes les années 40 et 50, car c’est une nouvelle façon de faire, une nouvelle technique de mise en scène qui a ses grandes qualités.
La Nouvelle Vague (des réalisateurs français) ne se trompera pas en reprenant ce concept de mise en scène, même si c’est avec 10-15 ans de retard. Selon moi, les plans séquences font le jeu des comédiens. Ces derniers ne sont pas encadrés, figés, prostrés face caméra mais disposent au contraire d’une meilleure liberté de mouvement, ce qui bonifie un pareil « film-enquête » comme celui-là. L’autre nouveauté est là, dans le fond de l’intrigue : le film-enquête. Partir d’un fait pour remonter le temps jusqu’à lui, ici le mot « rosebud », sa signification et son pourquoi du comment (avec au plan technique la « naissance » du flash-back ?).
Plans séquence et contre-plongée au plan technique, film-enquête au plan de l’intrigue . Orson Welles a innové énormément. C’est peut être du au cocktail « jeune réalisateur de 25 ans + statut libre de producteur, acteur, réalisateur, monteur ? Toujours est-il qu’au plan du fond il y a une autre nouveauté à créditer selon moi à Orson Welles : la première fois que l’intrigue dispose de plusieurs axes de lecture (au-delà donc du côté thriller).
Au-delà même de suivre l’enquête du journaliste…le spectateur entre de plain-pied dans la vie du magnat Kane. Quel est le protagoniste principal du film ? Peu importe, l’essentiel est d’en laisser pour tous les spectateurs : la biographie d’un illustre personnage d’un côté, de l’autre l’enquête tortueuse. Cette double lecture des choses peut avoir son charme, même si j’ai trouvé que malgré les 9 mois passés par Welles au montage, des choses ne vont pas. Toutes proportions gardées avec la difficulté d’un scénario non linéaire, pour la première fois peut-être de l’histoire. Il y a en effet à mon sens plusieurs scènes rendues fades voire inutiles. Ce n’est pas du au jeu d’acteurs, qui est bon, mais c’est justement du à cette surreprésentation de la vie du magnat Kane sur le cours de l’enquête du journaliste. Parce qu’il faut se le dire : la vie de ce magnat est rendue assez inintéressante au regard des biographies pures ou musicales(biopics) que l’on peut voir fleurir aujourd’hui.
L’intérêt reste alors dans la volonté de savoir ce qu’est ce « rosebud », et non dans le dévoilement d’une pareille vie de mégalomane, arriviste politique, narcissique sentimental et ami égoïste.
Car même si c’est censé critiquer tout un cortège de « grands » américains de ce monde, de classe dirigeante ou capitaliste comme William Randolph Hearst (magnat de la presse qui inspira Orson Welles pour le rôle-titre) tout cela n’est pas intéressant en soi, c’est-à-dire à première vue, comme il n’est finalement pas intéressant d’apprendre le pourquoi du comment du mot prononcé « rosebud » (ou alors à la toute fin du film, via le journaliste – je veux bien faire une concession sur cette fin assez puissante-) .
Alors que reste-t-il au soi-disant culte voué à Citizen Kane et à Orson Welles ? Mise à part sa qualité de pionnier des techniques artisanales du 7ème Art moderne et de référence, en matière de conception d’un film moderne ..je ne vois pas .. D’autant que ces innovations de plans séquences et contre-plongée ont été beaucoup mieux exploitées par des réalisateurs postérieurs, et mises au service de scénarios souvent plus intéressants . Etrange sensation que d’arriver au bout de cette ligne-ci : on voue un culte à ce film parce qu’il a scellé le devenir du cinéma mondial, mais en même temps on oublie de préciser vraiment le pourquoi du comment il est si cultissime. C’est ainsi que je conclurais en disant simplement que Citizen Kane est culte parce qu’il a offert au cinéma mondial de nouvelles voies de conceptions artistiques. Pour ce qui est du fond, novateur en son temps, il ne restera pas dans l’histoire , d’autres ont effacé depuis cette prouesse scénaristique de l’enfant prodige Orson Welles ! Même s’il faut bien avouer que cette vie de magnat ne fut pas sans difficultés à retranscrire pour Welles, avec ces pressions du magnat Hearst sur les patrons de salles obscures et sur les médias. Et c’est là une raison qui à elle seule peut réhabiliter ce problème d’un fond d’intrigue vieilli par le temps : Orson Welles a montré pour la première avec une tonalité corrosive, une ironie et une noirceur l’envers du décor d’un « grand » de ce monde en apparence puissant et bien sous tous rapports. Une sorte d’american dream à l’envers et de pied-de-nez fait à l’auto-censure, pour lequel il faut saluer Orson Welles.
Trois étoiles bien pesées, mais pas plus !