L’Atlantide de Platon était bien la Crète !

La Crète

La civilisation minoenne était le tout premier grand peuple capable de connecter la culture de tout le bassin méditerranéen, et donc le seul peuple capable de faire parler de lui aussi différemment selon leurs rencontres, que puissamment puisque les Minoens régulaient en ces temps très anciens le commerce maritime de tout l’Est de la Mer Méditerranée, du nord au sud. Les Minoens ont de toute évidence autant fasciné qu’effrayé l’ensemble des peuples du bassin méditerranéen, créant chez un peuple donné, une admiration de sa puissance, quand il effrayait d’autres continentaux de par le développement considérable en son temps, de sa civilisation. De même que vous avez avec la civilisation mésopotamienne, la toute première civilisation de l’écriture, vous avez avec les Minoens de Crète, la toute première puissance d’expansion par les mers, la toute première hégémonie maritime et le tout premier peuple qui a su et pu, se faire connaître à une échelle géographique telle qu’ils devinrent finalement connus, admirés ou craints d’un maximum de civilisations continentales en leur temps. Notamment des premiers Grecs continentaux.

Platon

La difficulté de brosser le portrait de la civilisation assimilée aux Atlantes est grande, dans la mesure où l’historien parle alors d’une période qui n’est pas considérée encore comme « historique » au sens strict du terme. En langage d’expert, on parle de « période historique » lorsque la mémoire d’un peuple est identifiable à son écriture ou à son degré d’organisation en cités. Tout ce qui précède la « période historique » est considéré comme « préhistorique » ou « protohistorique », il s’agit pour être plus clair de civilisations dont l’existence n’est véhiculée à posteriori que grâce à la mémoire collective basée sur la transmission orale de génération en génération entre des peuples qui se sont rencontré à un moment de leur histoire, mais aussi basée sur les mythes et légendes relayés par des penseurs ou savants tels que Platon, Homère ou Hérodote sous la forme d’écrits essentiellement poétiques : transformés et subjectifs (imposant le savoir et l’opinion dudit écrivain). Il résulte pour l’historien une difficulté d’analyse de la vérité et un risque de mener une enquête historique biaisée à l’avance. Aucun historien au monde n’est parvenu à décoder le Timée et le Critias de Platon avec véracité, dans la mesure où les traces d’existence de telles civilisations disparues, c’est-à-dire les vestiges archéologiques, ne suffisent pas à éluder la réalité d’une existence civilisationnelle au-delà d’un triptyque maigre : « une présence donnée, à un lieu donné, à une période donnée de l’histoire ». Et dans le même temps, les écrits platoniciens ou ceux du père de l’Histoire, Hérodote, souffrent de leur subjectivité, elle-même biaisée par une réalité dépeinte selon ce que les ancêtres ont raconté et selon la force avec laquelle ces savants, penseurs et écrivains décident de réutiliser le passé pour bonifier le présent. Étant historien antique de formation, l’objet de mon analyse suivante, ne sera donc pas de prendre le Timée ni le Critias de Platon au pied de la lettre mais bien de partir de l’existence vérifiée de la civilisation minoenne, qui, établie en Crète à une époque précédent les premières cités grecques (continentales), reste la première grande puissance maritime du monde.

I. Platon introduit le mythe des Atlantes, via son Timée

L’Atlantide a servi indirectement les intérêts de la cité-état d’Athènes, sous la plume de Platon, un notable philosophe qui incarnait un pouvoir moral infréquentable et marginalisé, au sens où il était répudié par les autorités athéniennes comme son maître Socrate avait été emprisonné pour ses idées. Platon était un contre-pouvoir politique influent en son temps : V-IVe siècles avant notre ère. Le philosophe Platon introduit le mythe de l’Atlantide dans Timée, au cours d’un récit fait par Critias, un riche Athénien disciple de Socrate et parent de Platon lui-même. Selon Critias, son arrière-grand-père, Dropidès, s’est vu confier par le législateur Solon (VIe siècle av. J.-C.) une confidence que lui-même tenait d’un prêtre égyptien du temple de Saïs. Aux dires du prêtre, « En ce temps-là, on pouvait traverser cette mer Atlantique. Elle avait une île, devant ce passage que vous appelez, dites-vous, les colonnes d’Hercule. Cette île était plus grande que la Libye et l’Asie réunies. (…) Or, dans cette île Atlantide, des rois avaient formé un empire grand et merveilleux. » Si Solon le tient d’un prêtre égyptien, cela veut dire que cette légende avait cours depuis le XVIIe siècle avant notre ère, époque de l’éclosion de l’Égypte ancienne. Cet élément est une clé de compréhension historique ou ne l’est pas. Lorsque vous avez un philosophe comme Platon qui écrit sur l’Atlantide, ce n’est pas pour justifier de l’exactitude ou de la véracité des temps anciens, mais toujours pour asseoir son emprise sur les notables de la cité antique, en les dépassant d’une surenchère historique qui stupéfait ses contemporains jusqu’aux membres éminents de l’Assemblée citoyenne de la cité-état d’Athènes (polis). C’est-à-dire que ces écrits sont à juger à la lumière, faible, de la propre subjectivité de Platon. En clair, le mythe de l’Atlantide n’engage que Platon lui-même. Alors l’enquête historique se referme sur cette borne historique : le XVIIe siècle avant notre ère. Le but de la manœuvre est de mythifier la fondation d’Athènes, notamment en justifiant sa réussite universelle aux yeux des contemporains, et cela est passé aux temps de Platon par la mise en scène d’ « hommes de la mer », des « Atlantes » comme ennemis redoutables desquels ont triomphé les premiers Athéniens pour longtemps : jusqu’à nourrir la réussite de la Cité-État d’Athènes et justifier son rayonnement sur tout le « monde connu ». Or, Athènes est née du synoecisme de plusieurs villages du petit « pays » de l’Attique, vers – 800. Il faut donc réduire la parenthèse historique de l’Atlantide entre le XVIIe siècle (éclosion de l’Égypte ancienne) et le IXe siècle avant notre ère (fondation d’Athènes).

II. Les ennemis fondateurs du mythe

Il n’y a pas une cité antique qui n’ait jamais tenté de mythifier ses origines, lorsque celle-ci prend conscience qu’elle a survécu à sa fondation tout en se voulant « empire ». C’est dans ce basculement des consciences d’un peuple, que les plus philosophes d’entre ses membres, pensent et réécrivent un cheminement originel pour justifier l’histoire, justifier la bravoure à adopter lors des batailles, mais justifier aussi l’adoption ou non d’un corpus de lois. A la fois pouvoir moral et contre-pouvoir politique, le philosophe antique est écouté de ses disciples, tout en demeurant un notable peu fréquentable. Mais Platon reste pour l’historien, un témoin de son temps inégalé, capable d’apporter à l’historien quelle est la conception de l’Etranger, l’Autre, l’Ennemi, le Peuple voisin. Or, l’ennemi commun aux membres d’un même peuple, nourrit le mythe de la fondation de ce dernier. Les grandes civilisations antiques sont en effet nées de la disparition d’autres plus anciennes : Rome au détriment des Étrusques par exemple, les Perses au détriment des Mèdes. Quels sont les ennemis fondateurs du mythe athénien ? Les Phéniciens, Phrygiens et Lydiens forment un « ennemi » commun à l’Athènes originelle, sous le nom de « Peuples de la mer » (leurs incursions et pillages sont répétés). Les Mèdes, Perses, Macédoniens de Philippe II sont à associer à la liste des ennemis historiques d’Athènes. A ceci faut-il ajouter la liste des ennemis de l’Égypte ancienne, puisque notre borne d’analyse est le XVIIe siècle av. notre ère. Voilà ce que nous trouvons donc : les Hourrites, Phéniciens, Hittites, Philistins, Libyens, Nubiens, Assyriens, Perses, Macédoniens d’Alexandre le Grand. L’Égypte et Athènes ont donc eu comme ennemis communs, à un moment ou un autre de leur histoire isolée, les « Peuples de la mer », les Perses et les Macédoniens. Entre le chef politique Solon et le prête égyptien, la mémoire qui se véhicule est celle d’un ennemi « de la mer », bâti sur une « île ». Parmi les trois ennemis encore en lice, il ne reste donc que les « Peuples de la mer ». Ce qui est une réalité somme toute sérieuse : les Perses ne sont pas attestés avant le IXe siècle avant notre ère ; quant aux Macédoniens ils n’apparaissent dans l’histoire qu’au Ve siècle avant notre ère. Or, Athènes a été fondée par un synoecisme vers – 800, soit en même temps que l’empire Perse mais à des milliers de kilomètres de distance. Quel est cet ennemi que les Égyptiens et les premiers Grecs ont eu à combattre chacun de leur côté ? Les Philistins, Lydiens, Phrygiens, Phéniciens, Minoens. Parmi ces « Peuples de la mer », certains sont à éliminer du champ historique du mythe fondateur. Les Phrygiens n’existent en Anatolie (Asie mineure) que vers – 800 avant notre ère. Donc ils ne peuvent avoir été ce peuple atlante narré par Platon, puisqu’ils sont concomitants de la fondation d’Athènes, mais à des milliers de kilomètres de là. Les Lydiens sont reconnus historiquement qu’à posteriori des Phrygiens, et même aux dépends d’eux, en prenant leur empire anatolien au VIIe siècle avant notre ère. Donc ils sont à éliminer de l’hypothèse d’un peuple atlante. Ils font irruption dans l’histoire un siècle trop tard.

III. La possibilité d’une île de l’Atlantide et d’un Peuple de la Mer redouté

Il reste les Phéniciens, Philistins et Minoens comme probables ennemis fondateurs du mythe de l’Atlante. Les Philistins étant appelés « peuple de la mer » par les Égyptiens (au même titre que les Cananéens et certaines tribus d’Israël), ils apparaissant dans l’histoire dès le XIIe siècle avant notre ère pour une disparition vers -700. Ils s’abritaient dans l’actuelle bande de Gaza, au sud-ouest du pays de Canaan. Les Philistins peuvent représenter ce légendaire peuple des Atlantes, narré par Platon. Mais il y a aussi les Phéniciens. Fondant Carthage en -814, plaque tournante de leur monopole sur le commerce maritime de Méditerranée, et prenant pour première assise historiquement vérifiée la côte palestinienne vers -900. Ces deux peuples, ont peuplé à intervalle différent, la même contrée : la côté palestinienne, utilisant tous un langage sémitique qui est à la source de l’alphabet utilisé plus tard par les Grecs puis Romains. Les Phéniciens sont en fait des descendants, hellénisés, des Philistins de la Bible. Les Phéniciens arrivent dans l’histoire quand Athènes arrive. Seuls les Philistins peuvent donc avoir hanté le passé hellène. Il reste à explorer la piste crétoise, car il s’y bâtit la première thalassocratie du monde : la civilisation Minoenne. Sa puissance était telle qu’elle relègue les Philistins au stade d’acteurs secondaires pour la fondation du mythe des Atlantes. Car les Philistins étaient dominés inexorablement par les Minoens, des Grecs insulaires. C’est depuis l’île de Crête que la civilisation minoenne pillait par voie de mer les côtes correspondant à l’actuelle Turquie, l’actuelle bande de Gaza, la côte égyptienne, les côtes et îles de l’actuelle Grèce. La civilisation minoenne disparut vers -1000, soit 2 siècles avant la fondation d’Athènes. Toujours dans le Timée, le prêtre rencontré par Solon narre la lutte des Hellènes, menée par Athènes, puis d’Athènes seule contre les soldats Atlantes venus des îles « du fond de la mer Atlantique » : « Dans l’espace d’un seul jour et d’une nuit terribles, toute votre armée athénienne fut engloutie d’un seul coup sous la terre et, de même, l’île Atlantide s’abîma dans la mer et disparut. Voilà pourquoi, aujourd’hui encore, cet océan de là-bas est difficile et inexplorable, par l’obstacle des fonds vaseux et très bas que l’île, en s’engloutissant, a déposés. » Première remarque : les premiers Athéniens étaient incapables de pratiquer la navigation par grand fond. Ils pratiquaient le cabotage. Le long des côtes. Comprenez donc que ce genre de navigation ne pouvait rencontrer que des désagréments en mer Egée, pleine de hauts-fonds. Tout ennemi venant d’Est par les mers, ne pouvait que survenir, surgir et disparaître aussi sec. De quoi alimenter peurs et fascination. Le plateau continental demeure haut jusqu’en Crète, justement. Une configuration maritime qui associe donc la Crète à la mer Egée. A l’est de la Crète cependant, commence la mer Ionienne, profonde. Le peuple minoen a dû très vite apprendre deux types de navigation (eaux profondes et hauts-fonds), faisant d’eux les experts en leur temps.

IV. Aux origines indo-européennes du peuple grec

Le Critias est un dialogue inachevé, une suite du Timée comprenant la légende de la victoire athénienne sur le peuple de l’Atlante. Le Critias entre davantage dans les détails. Contant l’origine des habitants nés de l’union de Poséidon et d’une mortelle, le récit s’interrompt au moment où Zeus décide de punir les Atlantes décadents. Le Critias porte le récit dans les sphères des divinités fondatrices de l’Olympe. Après l’héroïsme de l’homme athénien donc (Timée), les divinités accordent leur protection (Critias). Ces origines mythologiques utilisées par Platon mènent tout droit aux racines du peuple grec, pas seulement athénien : le peuple préhellénique continental des Mycéniens d’un côté, parent et géniteur des Athéniens ; le peuple préhellénique insulaire des Minoens, établi en Crête comme la toute première grande civilisation de l’Occident. Et bien ces deux peuples ont la même origine : un peuple indo-européen établi vers -4000 sur la rive ouest de la Mer Noire (actuelles Roumanie et Bulgarie). Ce peuple préhellénique s’était étendu en Asie mineure, Anatolie, dans l’archipel égéen, en Grèce continentale, en Crête et en Palestine. De là vont s’émanciper deux peuples aux caractères contraires : les insulaires (Minoens sur l’île de Crête, dès -3000 avant notre ère) ; les continentaux (Mycéniens, établis vers -2200 en Syrie, Sicile, Italie du Sud, Grèce continentale, Asie mineure, Anatolie et dans l’archipel égéen). Sous la poussée migratoire d’autres peuples indo-européens, la civilisation mycénienne se concentre sur le littoral et finit par entrer en contact avec la civilisation minoenne, qui ne leur apparaît que par voie maritime ou selon quelques comptoirs commerciaux. En -1500, à l’époque de l’éruption volcanique du Thera qui détruit complètement le palais de Cnossos, la cité la plus prospère de la civilisation minoenne de Crête, une nouvelle forme d’écriture apparaît. Et celle-ci atteste la présence de Grecs venus du continent : des Mycéniens. Les Mycéniens parvenaient ainsi à s’installer au cœur de la civilisation minoenne, accélérant fatalement sa chute, scellée vers -1400. De ces rencontres pendant près de 700 ans est née une fascination/répulsion pour l’ennemi Minoen venu de la mer. Les Mycéniens ayant fait perdurer par l’oralité le souvenir et le mythe d’ennemis terribles venus de la mer. C’est sans doute cette légende Minoenne répétée de génération en génération, qui a nourri le mythe des « peuples de l’Atlante ».

V. Un mythe de la peur du surpuissant Peuple de la Mer Minoen

Les contacts durent jusque vers -1400, lorsque les Mycéniens achèvent une civilisation Minoenne économiquement exsangue. La borne temporelle de la création du mythe des Atlantes se situe donc entre le XVIIe et le XVe avant notre ère. C’est-à-dire entre l’éclosion de l’Egypte ancienne, civilisation à laquelle se rattache le prêtre mentionné par Platon ; et la destruction des Minoens par les Mycéniens (le mythe cessa alors, percé à jour et foulé au pied par les Mycéniens). Que Jacques-Yves Cousteau ait raison ou tort en pensant faire de l’ancestrale Crête minoenne, l’Atlantide, ou que les experts ait raison ou tort en faisant de Gibraltar le lieu de l’engloutissement du peuple de l’Atlante, il ne reste pas moins que la thalassocratie minoenne était maîtresse de la Méditerranée jusque -1400 et que l’ensemble des Phéniciens, Lydiens, Phrygiens et des colons grecs d’Italie du Sud, Afrique du Nord sont tous issus du berceau de civilisation et de la zone d’émancipation géographique des Minoens ancestraux. Minoens et Mycéniens étaient issus d’un même peuple indo-européen, et leurs descendants athéniens ont bâti toute leurs peurs et doutes sur un mythe salvateur, capable de nourrir une histoire, une politique, une destinée. Un cheminement de mémoire collective tout-à-fait courant : prenez cette fameuse guerre de Troie dont le souvenir fait des Grecs les vainqueurs héroïques, alors qu’une fois de plus les ennemis Troyens abattus, étaient bien des semblables… Mais cela devait servir et nourrir les citoyens en armes d’Athènes face à la menace des Mèdes (guerres médiques dès 480 av. notre ère). Tout mythe à ses fondements et ses utilités, même celui de l’Atlantide, c’est en cherchant ses fondements et ses utilités qu’il est possible de penser une certaine réalité. Vers -1000, les restes d’un peuple qui avait brassé des insulaires et des continentaux disparaît étrangement du monde civilisé. Le territoire de la Crète devient un repaire pour pirates, avant d’être provincialisé par Rome en -68 avant notre ère. En ce temps-là, Rome se rappelait au bon souvenir du mythe de sa fondation, celui de Romulus et Rémus, et de leur mère-louve…

VI. L’Atlantide de Platon était la Crète

Tout commence en 4500 avant notre ère. En Crète comme en Grèce continentale, des tribus sont installées avec parcimonie, essentiellement le long de rivières, de la côte ou dans des plaines abritées par des chaînes montagneuses. Ces tribus maîtrisent l’agriculture, elles se sédentarisent donc, et s’accroissent en effectifs. De par la diversité des outils retrouvés lors de fouilles archéologiques (artefacts) : ces tribus avaient entamé une division du travail, c’est-à-dire une spécialisation dans leurs activités d’artisanat, d’agriculture, etc. Vers – 3000, les tribus de Grèce et de Crète apprennent à maîtriser la métallurgie, grâce à leur apprentissage auprès des civilisations plus avancées du Levant, qui connaissent quant à elles la structure communautaire. L’ensemble de ces tribus sont appelées « préhelléniques » dans la mesure où elles précèdent le temps des invasions de peuples indo-européens dits « Hellènes », ou « Grecs ». C’est vers – 2200 que l’invasion est à son paroxysme : les nouveaux arrivants Grecs prennent le dessus sur les peuplades autochtones. C’est vers – 1600 que des traits grecs communs de civilisation sont réels : notamment la manière d’inhumer les corps des défunts ou l’édification de « palais » monumentaux protégés d’un mur d’enceinte (400 sites répertoriés par les archéologues !). Ces « palais » sont les sièges du pouvoir nobiliaire, ils collectent les denrées des agriculteurs, rassemblent les troupeaux des éleveurs. Qu’ils redistribuaient ensuite à la population, contre leur fidélité, leur dévouement à la protection des lieux. Ce fonctionnement, sur le territoire de l’actuelle Grèce, identifiait une civilisation (aux traits communs) : la civilisation mycénienne. Aucune unité politique ou économique cependant. Les zones protégées par les « palais » monumentaux étaient isolées les unes des autres et indépendantes économiquement et politiquement. Une famille régissait ce palais, comme d’autres familles nobles régissaient d’autres palais. L’île de Crète, située au milieu de la mer Egée, entre Egypte au sud, Grèce au nord-ouest, Levant à l’est, Asie mineure au nord, abrite elle-aussi des peuples préhelléniques (autochtones vivant en tribues). Ils subissent eux aussi l’invasion du même peuple indo-européen dit « hellène ». Ces nouveaux arrivants établissent des palais monumentaux sur l’île, et ils le font plus tôt que les Grecs continentaux (Mycéniens). Le schéma communautaire s’installe vers -2000 en Crète, vers -1600 en Grèce ! Quatre siècles d’avance sur les Grecs continentaux et une position insulaire protectrice sont mises à profit d’une civilisation dont les traits communs la feront baptiser Minoenne, du nom du Roi mythique Minos, noble parmi les nobles du Palais de Cnossos : le palais parvient en effet en Crète à structurer économiquement et politiquement tout le territoire. Entre – 1600 et – 1450 la civilisation minoenne a également noué des liens commerciaux avec les populations du bassin méditerranéen. Elle est à son apogée. Les Egyptiens voient alors ces Minoens comme des êtres pacifiques, comme un peuple de pêcheurs tandis que les Grecs continentaux les voient supérieurs, de par leur raffinement. Par exemple l’écriture minoenne (le Linéaire B grec) ne se contentait pas de servir à inventorier les biens d’un palais comme chez les Grecs continentaux, l’écriture servait aussi à maintenir des comptes en économie, à lister des individus. Contrairement aux Grecs continentaux, les Minoens n’inscrivaient pas seulement leur écriture dans les colonnes des palais mais surtout sur des tablettes d’argile, mobiles donc et davantage accessibles et partagées auprès des individus rattachés au palais. Le palais, à l’instar de ce qui se faisait en Grèce continentale, centralisait les productions pour les redistribuer à la population. Ces transactions, dons et redistributions étaient gravés et authentifiés dans l’argile par des scribes. A la différence des Mycéniens (Grecs continentaux), les Grecs de Crète (Minoens) sont déjà présents et établis en colonies au Levant, en Égypte, et ils détiennent des comptoirs commerciaux et des plaques tournantes de piraterie au quatre coins du bassin méditerranéen. Ils sont établis avec certitude au milieu même des Grecs continentaux, aussi puisqu’ils ont laissé trace de leur présence au Péloponnèse et en Attique même. Ces deux points sont à retenir : le premier contact s’est établi entre Mycéniens et Minoens en actuelle Grèce. Nous sommes aux environs de – 1500. Les Minoens expatriés en Grèce découvrent une tribu plus puissante que toutes autres : la tribu de l’Attique (la région d’Athènes). Celle-ci partage en effet avec eux, très étrangement, la croyance en la légende du Roi Minos, de la bête gardienne de son palais le minotaure et de Thésée venu combattre et abattre ce dernier. Hérodote et Thucydide ont d’ailleurs relayé et amplifié ce mythe dans la Grèce des VIe et Ve siècle avant notre ère, démontrant au moins une chose : le contact entre Minoens et Mycéniens eut lieu en Attique. Les actes de piraterie sont à retenir : le peuple Minoen a sans doute à travers ses siècles d’hégémonie maritime, développé une phobie, une fascination/répulsion chez les Grecs continentaux qu’il venait piller ! La civilisation minoenne s’enrichit irrémédiablement de ses pillages : cette civilisation était alors la toute première grande thalassocratie de l’histoire du monde et devint le carrefour culturel entre différentes civilisations.

VII. Le souvenir d’une civilisation fascinante véhiculé par l’oralité et la pastoralité

Pour des raisons que les historiens peinent à démontrer, la civilisation minoenne disparaît vers – 1450/-1400. D’une part, le brassage incessant entre les arrivants mycéniens en Crète, et les Minoens, finit par rendre les Mycéniens maîtres de l’île à cette période. D’autre part, l’archéologie révèle une série de désastres naturels qui peuvent apporter une part de réalité « au monde englouti » narré par Platon. Les recherches archéologiques ont démontré que vers -1450, le volcan Thera est entré en éruption et a recouvert de sa lave et ses cendres toute la ville qui l’entourait : le palais Cnossos s’était retrouvé détruit ! Ce n’est pas fini ! L’archéologie a démontré un affaissement du niveau du sol sur une archipel au nord de la Crète et qui se reconnaissait de la civilisation minoenne : des artefacts et fondations engloutis ont été découverts, étudiés et rattachés aux Minoens. La géologie est venue au secours de l’archéologie, pour démontrer la forte perturbation sismique à laquelle était livrée la civilisation minoenne, en Crète mais aussi dans toute la Mer Egée : vers -1800 les preuves ne manquent pas pour montrer qu’un séisme violent détruisit les palais monumentaux de Cnossos et de Phaistos, le premier étant à l’époque le plus grand de toute l’île et le plus riche. Ce même palais aurait subi deux destructions en l’espace de 400 ans. Et ce n’est pas tout : reconstruit vers -1450 suite à l’éruption du Thera, ce palais est détruit à nouveau vers -1375 ! Les historiens sont divisés mais beaucoup pensent que ceci est l’oeuvre des Mycéniens : est alors retenue l’hypothèse d’un saccage de la dernière grande et puissante ville de Crète. Quant aux valeurs et au patrimoine de la civilisation minoenne, il semblerait que le modèle palatiale de vie économique et politique ait périclité et qu’il ait engendré des révoltes sociales terribles, opposant la population minoenne aux « Rois » de l’île. Les palais ont subi des destructions répétées sur plusieurs décennies, après un XVIe et XVe siècle d’étiolement de la civilisation : deux siècles d’appauvrissement de l’art et de ses formes, une raréfaction de l’art céramique pourtant fer de lance de l’esprit artistique minoen. Aussi, jusque le XVIe siècle avant notre ère, la population de l’île croissait d’une force telle que la Grèce continentale ne l’avait jamais connu, démontrant un épanouissement sans précédent au sein du monde grec. Vers -1000, seule la cité-palais de Cnossos garde une relative puissance grâce à la position stratégique de l’île de Crète. Mais l’Idée de civilisation minoenne est finie, comme autant engloutie que l’a été une partie de l’archipel égéen. C’est depuis cette concomitance entre une disparition physique (engloutissement) et cette disparition pleine de mystères, de souvenirs et de fascination (la civilisation éteinte) que le mythe de l’Atlantide a forcément jailli. Entre -1400 et -1200, les Mycéniens sont finalement parvenus à s’installer définitivement en Crète, et a fortiori dans l’ensemble de l’archipel des îles égéennes pour des raisons économiques : recherche de minerais. Ils s’affaissent à leur tour, dès le XIIe siècle avant notre ère, sous les coups de boutoirs d’un peuple grec venu de Macédoine et d’Epire (nord de la péninsule grecque) : les Doriens. Les excursions répétées de ces derniers devinrent invasion : les historiens ont appelé cela les « siècles obscurs », période phare pour l’oralité. Par l’étude des tombes de l’époque, les historiens ont cru voir le signe d’une extinction de la population, dont ils chiffraient la perte des Grecs continentaux aux trois-quarts. Mais il n’en est rien : le peuple grec avait tout simplement cessé de vivre sédentarisé en villages fortifiés, au contraire ils étaient devenus pastoraux, vivant de l’élevage et de la mobilité continue. Si l’influence dorienne venue du nord par hordes, a pu détruire les palais mycéniens un à un, il n’y a pas eu de rupture de l’histoire ni de la mémoire collective entre la « protohistoire » grecque et la période grecque archaïque qui allait suivre dès le Xe siècle avant notre ère. La vie en communauté urbaine revint, non plus en village mais en cités-états indépendantes les unes des autres. Sparte est fondé par synoecisme vers -900, de la réunion de trois villages. Athènes naît au IXe siècle du synoeicisme de quatre tribus d’essence mycénienne, notamment la peuplade baptisée « Attique » qui donnera son nom à la région athénienne et qui aura véhiculé aux futurs CITOYENS athéniens le souvenir d’un monde lointain qui fut jadis plus beau et plus fascinant que tout ce qu’Athènes n’avait jamais connu. Les « siècles obscurs » se refermaient. L’écriture allait reprendre. Avec comme préoccupation première le besoin de rappeler les grandeurs du passé et légitimer les choix sur l’avenir.

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