ISLAM. Cette lutte entre chiites et sunnites

Le monde musulman n’a jamais été aussi divisé que depuis la chute de Saddam Hussein. Les Saoudiens (sunnites) ne comprennent pas et refusent d’admettre que l’ordre sunnite arabe ait échoué au XXe siècle. Le nationalisme sunnite a démontré pendant les guerres du Liban et d’Irak son incapacité à unir, il n’a en effet ni réunifié les Arabes ni repris un seul pan de territoire à Israël. Le chiisme s’est bien mieux adapté au XXIe siècle. Cette confrontation entre sunnites et chiites est ancienne et remonte aux guerres de succession du Prophète Mahomet, et a été réactivée par cette opposition radicale entre l’Iran 90 % chiite), et l’Arabie Saoudite (dépositaire du wahhabisme : doctrine qui envisage à la fois une conformité de la doctrine à l’époque du prophète, et de la pratique de la charia et de la pratique religieuse comme à l’époque du prophète). La rivalité entre l’Arabie saoudite et l’Iran se nourrit des oppositions confessionnelles entre les deux principales familles de l’islam. Le sunnisme est majoritaire au Maghreb et en Afrique noire, en Libye et en Egypte, en Turquie, en Arabie saoudite et dans le Golfe, en Syrie, en Afghanistan et au Pakistan, en Inde et en Indonésie. Les chiites sont majoritaires en Iran, en Irak, à Bahreïn et en Azerbaïdjan, et significativement présents au Liban, au Yémen et en Syrie, en Afghanistan, au Pakistan et en Inde.

Le conflit originel

La division entre sunnisme et chiisme est historiquement le fruit d’un conflit de succession, après la mort du prophète, en 632 à Médine, dans l’actuelle Arabie saoudite. Les compagnons du prophète choisissent l’un d’entre eux, Abou Bakr, en conclave selon la tradition tribale. Selon les chiites, le pouvoir légitime revenait en droit aux descendants directs du prophète, par sa fille Fatima et son gendre Ali. Ecarté du pouvoir, ce dernier deviendra, vingt-cinq ans plus tard, le quatrième calife. Son règne, contesté par Mouawiya, un proche du troisième calife, Osman, assassiné, se termine dans la confusion et il meurt tué par d’anciens partisans devenus dissidents, les kharidjites.

Hussein, le fils d’Ali, qui se soulève contre l’autorité du calife Yazid, fils de Mouawiya installé à Damas, sera tué lors de la bataille de Kerbala, en 680. Les chiites révèrent Ali, ses descendants et successeurs comme les « douze imams », persécutés, qui servent d’intermédiaires entre les croyants et Dieu. L’islam sunnite, lui, se voit comme la continuité des premiers califes de l’islam, qui ont conservé intacts et fait observer les commandements de Mahomet.

Le sunnisme, qui rassemble environ 85 % des musulmans, tend à se définir par opposition aux sectes qui ont parcouru l’histoire de l’islam, en premier lieu le chiisme, et revendique un idéal de consensus. Il se définit par l’acceptation du Coran, parole de Dieu, et des enseignements et exemples donnés par le prophète, transmis sous forme de récits et d’informations (« ḥadith » et « khabar »). Il opère un constant retour à ces textes. Le chiisme partage ces sources fondamentales. Les religieux chiites sont cependant structurés en une véritable hiérarchie cléricale, à la différence des oulémas (théologiens) sunnites.

Irak : analyse des luttes actuelles entre chiites et sunnites

L’Irak avait fait la guerre à l’Iran en 1980 pour freiner la révolution chiite iranienne avec l’argent des roitelets du Golfe. Une fois la guerre finie -les deux pays sont sortis exsangues. Il faut rappeler qu’ils ont été ravitaillés en armes par les Occidentaux, souvenons-nous de l’Irangate- Ce fut la première attaque frontale du sunnisme contre le chiisme. La 3e guerre du Golfe déclenchée sous le faux prétexte des ADM, a éliminé Saddam, fait 1 million de morts et ouvert la boite de Pandore de la fitna…au détriment du sunnisme.

Le gouvernement irakien est actuellement dirigé par Mohammed Taoufiq Allaoui, à la tête d’une coalition dominée par les partis chiites. Dans un effort de répartition des rôles entre les trois principales communautés, l’exécutif est partagé entre trois personnes : le président Barham Salih est kurde sunnite, le Premier ministre est chiite, et le président du parlement arabe sunnite. Chacune de ces têtes est entourée de deux adjoints, appartenant aux deux autres communautés. On note l’influence déterminante de deux personnalités religieuses issues de la communauté chiite : l’ayatollah Ali al-Sistani et Moqtada al-Sadr.

Lorsque l’on parle de courants religieux en Irak, on parle avant tout de communautés. Les deux principales communautés musulmanes sont les chiites, majoritaires avec 55% de la population, et les sunnites qui sont, à parité avec les Kurdes, aux alentours de 20% chacune. Ici, nous avons un conflit entre deux populations antagonistes pour des raisons historiques, sociales et politiques. Cette violence est le résultat de siècles de domination de la part de la minorité sunnite au sein des institutions, depuis l’époque ottomane jusqu’à la fin du régime de Saddam Hussein. L’Irak est actuellement caractérisée par une Constitution et des institutions qui ont été décidées dans une période où le pays n’était pas réellement souverain. Le processus politique est faussé par une vraie tromperie: on a confondu majorité démographique avec majorité démocratique. Les chiites votent pour les chiites. Les sunnites, d’abord exclus, ont ensuite voté pour une liste sunnite.

Il faut revenir aux origines de la domination politique et sociale des sunnites dans la société arabe de l’Irak. Elle est liée à l’histoire du peuplement de ce pays. La plupart des Arabes d’Irak sont des nouveaux venus, originaires pour la majorité, de tribus sunnites qui ont migré depuis la péninsule arabique et se sont sédentarisées. Dans l’univers bédouin, la sédentarisation a été assimilée à un processus d’asservissement des sédentaires par les nomades.

La révolution islamique iranienne puis Saddam Hussein en rempart pour les chiites

A l’époque moderne, en 1979, la révolution islamique iranienne polarise le Moyen-Orient. La volonté iranienne d’exporter sa révolution et sa politique de soutien à des groupes armés chiites, en premier lieu le Hezbollah, au Liban, mais aussi au Koweït, cristallisent les rivalités avec les pays arabes sunnites de la région, qui soutiennent Saddam Hussein dans sa guerre contre l’Iran (1980-1988). Au même moment l’Arabie saoudite, où le wahhabisme, un courant du sunnisme ultrarigoriste et antichiite, est religion d’Etat, soutient le djihad antisoviétique en Afghanistan. Al-Qaida s’y forgera.

En 2003, l’invasion américaine de l’Irak déclenche une guerre civile entre chiites et sunnites irakiens. La branche irakienne d’Al-Qaida y développe un djihad spécifiquement antichiite, et forme, avec le renfort d’anciens cadres du régime de Saddam Hussein, la matrice de l’actuelle organisation Etat islamique (EI). Celle-ci profite aujourd’hui du ressentiment des populations sunnites d’Irak contre le gouvernement dominé par les partis chiites, et sous influence iranienne. L’EI a par ailleurs mené des attentats terroristes contre des communautés chiites loin de ses lignes de front d’Irak et de Syrie, jusqu’en Arabie saoudite, au Koweït, au Yémen et au Liban.

L’implosion syrienne

En 2011, dans la foulée des « printemps arabes », la Syrie bascule dans la guerre civile. La répression du régime, tenu par la minorité alaouite (une branche du chiisme) à laquelle appartient la famille Assad, a favorisé la montée en puissance d’un extrémisme sunnite, communauté dont est issue la quasi-totalité de la rébellion anti-Assad. Par la suite, le régime a libéré des prisonniers djihadistes sunnites, dont certains ont rejoint l’EI, le Front Al-Nosra (la branche syrienne d’Al-Qaida) et des groupes radicaux, afin de diviser et discréditer l’opposition comme la rébellion.

Le conflit syrien est devenu un terrain d’affrontement, par alliés interposés, entre l’Iran, dont les forces et les milices chiites internationales (Liban, Irak, Afghanistan) combattent aux côtés des troupes régulières et de la Russie, et les puissances sunnites que sont l’Arabie saoudite, la Turquie et les monarchies du Golfe, qui appuient des groupes rebelles.

L’Arabie Saoudite en conflit au Yémen contre les chiites

Arrivé au pouvoir en janvier 2015 en Arabie saoudite, le roi Salmane a adopté une stratégie agressive pour contrer l’influence iranienne au Moyen-Orient. Ce raidissement s’est matérialisé par l’entrée en guerre de l’Arabie saoudite au Yémen, en mars 2015. Le royaume saoudien, qui a formé une coalition de neuf pays arabes sunnites, cherchait à empêcher la rébellion des houthistes, de confession zaïdite (une branche du chiisme), alliés à l’Iran, de s’emparer de son voisin du Sud. L’Arabie Saoudite se retire de ce conflit, et a entamé un apaisement avec l’Iran.

L’échec du sunnisme

Les sédentaires d’Irak, ont rejoint des communautés chiites tandis que les dernières tribus nomades, des grandes confédérations tribales, sont devenues les familles régnantes. Ces classes dominantes étaient les relais locaux de l’Empire ottoman, porte-étendard du sunnisme à l’époque. En 1920, les Anglais se sont reposés sur ces élites. Le système, malgré les révoltes et les révolutions successives, a toujours maintenu le monopole du pouvoir, notamment militaire, entre les mains des sunnites. Les chiites, eux, sont restés constamment exclus. Ils se sont rattrapés dans le domaine économique. La guerre confessionnelle qui a ravagé l’Irak entre 2005 et 2008 est un phénomène totalement nouveau. On le voit les morts se comptent par dizaines.

Deux branches de l’Islam en rupture face au Coran… donnant deux conceptions de la lutte

Dans l’intériorisation du Coran se dévoilent des différences entre chiites et sunnites. Le chiite n’a pas le droit d’interpréter le Coran tout seul. Il lui faut l’aide et l’intercession d’une autorité. Le chiite ne lit pas littéralement le Coran, il doit l’étudier pendant des années de formation classique, non exempte d’autres disciplines. Dans l’islam sunnite au contraire, il n’existe pas de hiérarchie. L’Irak une fois débarrassé de Saddam Hussein, de son armée et de sa police secrète, le «bouclier sunnite arabe» s’est mué en un gouffre, que l’Iran a su remplir promptement, en toute discrétion pendant l’occupation américano-britannique. Le retour des chiites fut diffus: ce n’étaient pas seulement les lieux de pèlerinage chiites comme Nadjaf ou Kerbala qui furent visés mais aussi les nouveaux services de sécurité irakiens, l’armée, la police et le gouvernement.

Les années 2000 et 2001 restent le vrai tournant pour le monde musulman. Le Liban démontrait que les Arabes ne parvenaient pas à s’unir, entre alliés extérieurs, et même entre tribus ou factions différentes. Le Hezbollah allait coiffer tout le monde en battant sur le terrain Israël. Et la situation actuelle irakienne est là pour rappeler que la désunion est féroce. Liban et Irak ont affaibli la diplomatie sunnite ainsi que son pouvoir au sein du monde musulman. L’acteur encore bien debout reste l’Arabie Saoudite ! Déjà tributaire de la présence de la flotte américaine comme bouclier, l’Arabie Saoudite est en outre diminuée: la cooptation des Alaouites en Syrie, par l’Iran a conduit à une rupture entre Saoudiens et Syriens. (…) En cas d’invasion, les Etats du Golfe seraient incapables en effet, de se faire justice seuls. Stratégiquement, le point central reste Bahreïn, la flotte américaine y a établi sa base navale. Si Bahreïn saute un jour, c’est la porte ouverte pour l’Iran, sur un plan militaire.

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