CASINO de Martin Scorsese – 1996

Pitch    

Las Vegas, Nevada, années 70. Le syndicat des Camionneurs confie à Sam « Ace » Rothstein (De Niro) le casino Tangiers, qui va devenir le plus prospère de la ville. La mafia double ses gains et Ace devient l’'un des hommes les plus puissants de la capitale du jeu. Impitoyable avec les tricheurs, il se laisse pourtant séduire par une virtuose de l’'arnaque, Ginger McKenna (Sharon Stone). Un autre adversaire, plus inattendu, va menacer l’'empire de Ace : son ami d’'enfance, Nicky Santoro (Joe Pesci), un homme violent, avide de pouvoir et d'’argent. En leur ouvrant les portes de son paradis, sa vie va devenir un enfer…

Avis   

Un film assez magistral sur la longueur, et c’’est d’’ailleurs sur cet aspect que je vais m’’attarder. Casino ne faiblit jamais d’’intensité, bien que durant près de trois heures. On retrouve la patte « scorsesienne » et le souci du détail tout comme le sens de la synthèse.

Le scénariste Nicholas Pileggi a vraiment fait du très bon travail, s’’inspirant notamment de la vie et des déboires sentimentaux d’’un vrai dirigeant de casino de Las Vegas, Franck Rosenthal (années 70). Il y a un vrai fond de vérités sur le gangstérisme et le blanchiment d’’argent sale via les jeux d’argent, dans un Las Vegas devenu alors, le paradis du crime organisé….

Dans le fond de l’’intrigue, cela emprunte les voies d’’un cinéma « total », un époustouflant alliage de fresque historique, de drame passionnel, de destinée personnelle. Le tout transcendé lentement mais sûrement en une véritable tragédie humaine post-moderne, avec l’’argent/capitalisme mis naturellement au centre des débats.

Scorsese rend une très belle copie, en signe d’’une longue expérience du film gangstériste. Avec une magnifique photographie, une bonne authenticité dans sa retranscription d’’une époque, d’’une ville, d’’une mentalité ambiante. Scorsese garantit de bout en bout et à chaque moment un travail très propre sur la mise en valeur des rôles, puis sur leur mise en abîme et leur descente en enfer.

CASINO, Robert De Niro, Joe Pesci, 1995, in the casino

Offrant presque à Sharon Stone l’’oscar de la meilleure actrice (nominée mais pas gagnante), Scorsese sublime les moments de drames passionnels par le très tragique « Thème de Camille », de Georges Delerue, faisant de vibrants parallèles avec Le Mépris de Jean-Luc Godard, ainsi peut être qu’’un hommage au cinéaste français. Car il est peut être crédible de songer à une adaptation américaine du Mépris de Godard, pour ce qui est de la trame scénaristique mettant en exergue le mépris de Ginger (Sharon Stone) pour son mari (De Niro), passant de la beauté fatale à la beauté empoisonnée vis-à-vis d’’un homme qui craint pour son capital et pour son honneur personnel. Un petit parallèle en tout cas, car si les raisons du mépris de Ginger pour son mari sont aussi obscures que celles de Camille pour son mari (Michel Piccoli), ce n’’est qu’un axe de lecture de Casino, et non le centre névralgique du scénario.

Joe Pesci et Sharon Stone. United International Pictures (UIP)

Robert De Niro et Don Rickles. United International Pictures (UIP)

Martin Scorsese a seulement saupoudré son film d’’instants de déliquescence du couple, histoire de brosser un portrait abouti d’’un gérant pris entre deux feux : l’’amour et l’’amitié. La première heure du film est très rythmée malgré ses intentions. Elle sert à présenter en long et en large l’’antre de l’’intrigue (le Tangier’s Casino), les deux rôles qui formeront un couple admiré extérieurement mais rongé intérieurement par l’’ego du mari (le mépris de la femme), ainsi que la présentation trop rapide à mon goût dans son enchaînement de chaque individu formant le microcosme qui compliquera la vie de ce couple. En passant des « boss » qui régissent en haute main le gérant De Niro, qui sont autant de mafieux et de reliques de l’’époque du blanchiment d’’argent sale par l’’investissement dans les jeux d’’argent, mais on a aussi la présentation grave et percutante de ce bon vieux Nicky Santoro (Joe Pesci), bagarreur invétéré qui entend se faire une place sous le soleil de Las Vegas par le poing et le sang. Sa montée en puissance annonçant la crise chez le gérant De Niro.

Intermède historique sur le film :

L'’intrigue de Casino se situe dans les années 1970. Cette même décennie est celle du passage de témoin entre des casinos tenus par la pègre et des groupes aux finances saines, des entreprises à grande transparence et des groupes jusqu’'alors diversifiés  dans l’'investissement hôtelier. Le rôle de Robert De Niro est intéressant à plusieurs titres. Il permet un statut d’'acteur victime de ce mouvement historiquement vérifié. Casino est intéressant par son approche du monde du casino. Il y a tout un tas de vérités propres aux seventies et tout un portrait réussi sur l’'activité des mafieux qui régissent au-dessus de lui l’'ensemble du Tangier’s Casino. Ils sont six patrons, qui ayant investis dans ce casino, ne cessent jamais de prendre dans la caisse de la trésorerie, afin de déduire secrètement des comptes, de lourdes sommes d’'argent que les impôts n'’auront pas. Permettant l’'autofinancement, cette pratique dépend toujours d’'un seul et même homme, qui peut accéder quand il le veut à la salle des comptes pour remplir sa mallette de liasses de dollars. Celui-ci, payé par ces six patrons mafieux, prend au nez et à la barbe de De Niro la somme qu’'il veut. Il est le seul, avec le personnel qui compte les recettes de la journée, à pouvoir rentrer dans cette salle au trésor, et bien que gérant, De Niro le sait mais ne peut rien dire, de peur de se faire virer voire tuer. Le traitement du personnage joué par De Niro est fiable, dépeignant un ancien bookmaker ayant été désigné comme gérant de casino. Les bookmakers sont une mouvance représentative de la classe gestionnaire des casinos de Las Vegas, dans les années 50, 60 et 70. Gestionnaire j’'entends, pas dirigeante (ce sont les caïds de la pègre les vrais "boss", alors). 

« Tous les comités directeur des casinos étaient légalement déclarés en tant que syndicat de travailleurs »

Scorsese met donc très bien en situation le fameux Syndicat des Camionneurs. C’'est effectivement un puissant syndicat qui avaient des portées financières sur plusieurs casinos de Las Vegas, depuis les années 50 aux années 70. Tous les comités directeur des casinos étaient légalement déclarés en tant que syndicat de travailleurs, façon d'avoir une vitrine propre et d'obtenir des financements. Le Syndicat des Camionneurs était l’un des plus au fait, à Las Vegas, et les comités directeurs de casino qui se réclamaient de ce syndicat, avaient d’'abord trouvé des fonds auprès des cotisants routiers et chauffeurs syndiqués, pour ensuite réinvestir tout dans du patrimoine hôtelier et des jeux d’argent. On pense que près de 200 000 routiers ont été prélevés sur leurs retraites en vue de tels investissements. Quelque soit le syndicat qui blanchissait son argent sale par les casinos, il envoyait des fonds à la maison-mère de leurs groupuscule mafieux, dont les principales étaient établies à Cleveland, Chicago, New-York et Kansas City dans les années 50, 60 et 70. Ce film montre très bien la fine frontière qu'’il y avait entre le statut de mafieux et celui d’'homme d’affaire. Blanchir de l’'argent sale via les jeux d'’argent c’'est un peu être « un homme d'’affaire de l'’industrie du jeu », expression qui était couramment employée par les médias pour désigner les investisseurs de casinos à Las Vegas, des années 50 aux années 70. Après les années 70, toute cette machine secrète, aux activités commerciales douteuses et peu transparentes, disparaîtront irrémédiablement. La fin des années 60 est à ce titre prodigieuse. 

« 600 membres du « syndicat du crime » sont traînés en justice »

 Devenu ministre de la Justice, Bobby Kennedy reprend de A à Z tout le rapport d'’enquête qu'’il avait conduit pendant une commission parlementaire. Ce rapport précise les liens entretenus entre la pègre du « far-west » et les jeux d'’argent, désignant Las Vegas comme le « paradis du crime et des escrocs ». Le FBI, le FISC et le ministère de la Justice de Bobby Kennedy lancent au milieu des années 60 des opérations policières (descentes de police dans les casinos), ils épluchent les comptes des casinos, ils mettent sur écoute. Résultat : alors qu'’il est dit que 10 millions $ disparaîtraient chaque année des comptes des casinos, 600 membres du « syndicat du crime » sont traînés en justice. Mais il faut plus que la justice et la répression pour tuer le monopole des mafieux sur Las Vegas. Howard Hughes, l’'un des hommes les plus riches de la planète, décide en 1966 d’'acheter un, puis deux, puis trois casinos hôteliers : le Frontiers Sands, le Silver Slipper et le Landmarck Hotel. Il est considéré par les médias comme celui qui mit à l’'ombre les mafieux. Car Las Vegas et ses casinos obtinrent une plus grande ouverture dans les médias : Wall Street investit à Las Vegas, les capitaux sains et sécurisés sont investis dans le business des jeux d’'argent. Des entreprises bien sous tous rapports comme Hilton rachètent des casinos ou des hôtels à Las Vegas. Les mafieux n'ont plus assez de fonds pour concurrencer les appels d’'offre de ces grands groupes diversifiés, et finissent par mettre la clé sous la porte. Les derniers mafiosis de Las Vegas sont chassés au milieu des années 80.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *