AUTRICHE. Le terreau de l’antisémitisme nazi, la fabrique du Mal Hitler, le laboratoire des premiers camps et premières déportations

Il faut attendre 1993 pour qu'un chancelier autrichien se rende en Israël : Franz Vranitzky, reçu par Yitzhak Rabin. Deux ans plus tôt Franz Vranitzky avait prononcé un discours accablant les Autrichiens comme ayant participé à la machine nazie jusque dans ses plus hautes sphères. En réalité, ces terres autrichiennes de jeunesse de Adolf Hitler, ont certes engendré le Mal personnifié à l'encontre du peuple juif, mais également ont été le terreau de la mécanique nazie jusqu'au-boutiste : bien des hautes sphères de commandement nazies étaient occupées par des Autrichiens.

L’après empire austro-hongrois : misère, chômage et mouvements nazis clandestins

1918 : côté vaincus, à Vienne, place à la République ! Mais quelle République ? Sa monarchie balayée, l’Autriche devient un état croupion, privé de ses industries et de ses anciennes terres. Les Autrichiens ramassent du bois en forêt pour se chauffer. Humiliée, l’Autriche plonge dans l’instabilité, la misère et le chômage : le NSDAP s’engouffre dans la brèche d’une politique d’Etat qui ne parvient pas à satisfaire les Autrichiens dans leur vie au quotidien. Des pangermanistes exaltés voient Ernst Kaltenbrunner, au tempérament belliqueux, appliquer sur le terrain les thèses antisémites de l’extrémiste Georg Ritter von Schönerer, qui déclarait : « Nous ne prendrons jamais un Juif pour un des nôtres sous prétexte qu’il parle allemand !».

Hitler accède au pouvoir en 1933. Il est dûment salué depuis l’Autriche. Le mouvement nazi en Autriche s’accélère : et appelle à une union avec l’Allemagne. Dollfuss prend le pouvoir, il met fin à la démocratie. Fasciste mais non nazi, il puise dans le catholicisme. En juillet 33 : le mouvement nazi est interdit par Dollfuss, et passe dans la clandestinité. Linz devient l’épicentre du nazisme clandestin : et dans cette clandestinité la violence est partout pratiquée. Sur la tombe des parents d’Hitler, à Linz, des sympathisants bravent les interdits en honorant leur mémoire.

Kaltenbrunner est alors nommé chef des SS autrichiens. Par idéal et non par frustration sociale, il défend la cause nazie. La « Légion » autrichienne est constituée : sa formation est réalisée par leurs homologues allemands. La Gare de l’Est de Vienne est sabotée ! Ces sabotages ne sont que le prélude d’une symphonie plus funèbre. En juillet 1934 : un commando met à sac les locaux de la radio d’Etat puis de la chancellerie autrichienne. Le chancelier Dollfuss est tué. Mais le coup d’état est un échec. En Allemagne, Hitler prend ses distances avec ces mouvements nazis autrichiens, il préfère adopter une méthode plus discrète.

Une population autrichienne désirant l’annexion par l’Allemagne

De plus en plus d’Autrichiens, ruinés, sont prêts à l’union de leur pays avec l’Allemagne. Le 12 février 1938 : Kurt Schuschnigg, le chancelier autrichien est reçu et intimidé par Hitler, à Berchtesgaden. Schuschnigg démissionnera après avoir refusé un « Anschluss » : une jonction Allemagne-Autriche, ou plutôt une annexion par l’Allemagne de l’Autriche.

Le 12 mars 1938 : des troupes nazies déferlent en Autriche, accueillies avec ferveur.

Hitler se rend à Linz, sa ville de jeunesse d’abord, puis à Vienne, où des centaines de milliers d’habitants l’acclament. Le 15 mars 1938 : Hitler apparaît devant un parterre qui lui obéit au doigt et à l’oeil et déclare « l’Ostmark devient le rempart du Reich allemand ! ». L’Ostmark, pour « marches de l’Est », étant le nom donné à l’ex-Autriche. 99% de « oui » à l’union avec l’Allemagne, au référendum !

Autriche : laboratoire des premières déportations et des premières politiques hygiénistes

Tous les organes de sécurité autrichiens tombent entre les mains de Kaltenbrunner l’Autrichien, qui fait un retour sur ses terres, en grande pompe. 20 000 personnes sont arrêtées par les SS en dix mois : le premier transport pour Dachau a lieu quinze jours seulement après l’annexion. En août 1938 : les Autrichiens fabriquent Mauthausen, leur propre camp de déportation, pour y éliminer les ennemis du régime par le travail. En réalité : ont lieu des tortures, gazages, des tirs balle dans la tête…

Les méthodes meurtrières sont appliquées, notamment la doxa nazie hygiéniste : les handicapés physiques ou mentaux sont tués, sous couvert d’euthanasie, à l’abri des regards. Près de Linz, le château d’Hartheim (photo ci-dessous) est utilisé comme laboratoire de mise à mort des handicapés : les premières chambres à gaz de l’Histoire sont autrichiennes !

A Vienne, le personnel d’un hôpital psychiatrique étend aux enfants handicapés la doxa hygiéniste : inoculation de maladies mortelles notamment, ou encore empoisonnements.

Stefan Zweig parlera de Juifs tout entiers « humiliés ». Plus encore : tout bien juif est saccagé. Le personnel de ces boutiquiers juifs deviennent les patrons.

Magasin de chaussures de Léo Schlesinger saccagé, Vienne, Autriche, 10 novembre 1938.

Les passeports de la famille de Sigmund Freud sont confisqués, son coffre-fort est vidé. La famille Freud s’exile à Londres. Un an plus tard : Freud décédera. 160 000 logements viennois changent de main : les Juifs sont délogés, expropriés. Tout cela en Autriche ! L’Allemagne attendra avant de faire chose similaire.

En mars 1938 : un commando mené par Adolf Eichmann est envoyé à Vienne, où les Juifs représentent 10 % de la population. Ce commando a une méthode radicale : une émigration forcée cruelle, puisque les Juifs achètent au prix fort l’autorisation d’émigrer. Eichmann contraint les représentants de ces communautés juives à collaborer avec ses lieutenants. Les dirigeants juifs s’exécutent, c’est toujours mieux que ce qu’ils subissaient jusqu’alors, se disent-ils. Pendant leur transit vers leurs pays d’accueil : leurs valises, biens, tableaux sont volés systématiquement. A leur arrivée, les émigrés juifs n’ont plus rien.

Les recteurs d’universités sont remplacés. À l’opéra de Vienne, les élites valsent désormais sous la croix gammée. Herbert von Karajan a la carte du parti NSDAP, dès 1933, il dénonçait l’ « enjuivement » de l’opéra populaire viennois. Hitler le fait venir à Berlin.

Le 1er septembre 1939 : c’est l’invasion de la Pologne. Hitler veut y implanter une réserve pour les Juifs : Eichmann s’occupe de ce projet. Des Juifs d’Ostmark sont déportés. Les premières déportations sont donc d’initiative autrichienne. L’Allemagne attendra deux ans pour faire pareil.

Des Autrichiens jusqu’au-boutistes, dans les hautes sphères de commandement nazies:

Arthur Seyss-Inquart, qui avait pris le pouvoir après Dollfuss en Autriche et favorisé l’Anschluss, devient pendant la Seconde Guerre mondiale gouverneur des Pays-Bas: il y fait liquider la communauté juive néerlandaise. De nombreux fonctionnaires autrichiens agissent dans son sillage.

Un certain Alois Brunner, Autrichien, dit « le boucher de Drancy », fait déporter depuis Drancy les Juifs de France, vers Auschwitz. Un certain Odilo Globocnik crée Belzec en Pologne : 600 000 personnes y seront massacrés. Odilo Globocnik liquide les ghettos juifs polonais. Il reproduit les méthodes inventées à Vienne par Eichmann. Les dirigeants des communautés juives doivent en effet désigner les personnes à déporter.

Les gardes autrichiens encadrent les camps d’extermination : et à Treblinka ou Sobibor les chefs sont Autrichiens.

En mai 1942 : Heydrich subit un attentat. Il succombe à ses blessures quelques jours plus tard. Kaltenbrunner, Autrichien donc, devient le nouveau chef des SS. Il se rend sur sa terre natale, à Mauthausen pour voir des opérations de gazages être déclenchées sous ses yeux, dès son arrivée.

Suite au débarquement en Normandie, Alois Brunner, le boucher de Drancy, malgré la pénurie de trains s’acharne à organiser un dernier convoi vers Auschwitz, cette fois-ci des enfants sont enlevés d’orphelinats, au nombre de 324, pour être gazés à Auschwitz.

A Berlin, Kaltenbrunner mène une traque contre d’éventuels traîtres et dissidents du régime nazi. Himmler est démis de ses fonctions pour avoir tenté de traiter la paix avec les Anglais.

L’amnésie nationale sidérante en Autriche jusqu’en…1993 !

Kaltenbrunner, au procès de Nuremberg, plaide non-coupable. Condamné à mort, il est exécuté en octobre 1946. Les Autrichiens suivistes nazis restent eux, à retourner leur veste puis miser sur une amnésie collective. L’Autrichien Von Karajan poursuit sa carrière météorique de chef d’orchestre. En 1986, Kurt Waldheim devient chef d’Etat en Autriche, alors que comme officier nazi il avait participé à l’assassinat de partisans yougoslaves pendant la Seconde guerre mondiale..

Il faut attendre 1993 pour qu'un chancelier autrichien se rende en Israël : Franz Vranitzky, reçu par Yitzhak Rabin. Deux ans plus tôt Franz Vranitzky avait prononcé un discours accablant les Autrichiens comme ayant participé à la machine nazie jusque dans ses plus hautes sphères. En réalité, ces terres autrichiennes de jeunesse de Adolf Hitler, ont certes engendré le Mal personnifié à l'encontre du peuple juif, mais également ont été le terreau de la mécanique nazie jusqu'au-boutiste : bien des hautes sphères de commandement nazies étaient occupées par des Autrichiens.

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