JEAN MOULIN. Qui l’a trahi lors de son arrestation le 21 juin 1943 ?
Caluire, localité de la banlieue lyonnaise, le 21 juin 1943. Jean Moulin tombe lors d’une réunion destinée à faire remplacer le chef de l’armée secrète : le général Delestraint, arrêté plus tôt à Paris le 9 juin 1943.
Né en 1899, Jean Moulin entame avant guerre une carrière de préfet : il effectue sous le Front Populaire une incursion dans les arcanes hautes du pouvoir puis reprend une carrière plus classique. Préfet d’Eure-et-Loir en janvier 1940, il se distingue pendant la débâcle en refusant aux Allemands l’accusation de tirailleurs sénégalais dans les meurtres de civils, qui en réalité avaient été victimes de bombardements de l’aviation allemande (Luftwaffe). Enfermé, brutalisé, il est libéré. Le régime de Vichy le révoque le 2 novembre 1940…
Après sa rencontre avec De Gaulle, Jean Moulin est parachuté en zone libre en janvier 1942
Il étudie le mouvement de résistances qui se développe, il enquête sur la Résistance pour ensuite rejoindre De Gaulle à Londres, en octobre 1941. Il convainc le général De Gaulle que les mouvements clandestins seraient plus efficaces, si unifiés, que la simple activité paramilitaire alors déjà en place également en France (le mouvement militaire de la France Libre)… Il convainc De Gaulle de faire unifier toutes les forces clandestines. Jean Moulin, alias Rex, alias Max, est parachuté en zone libre en janvier 1942.
Unifier les mouvements malgré les oppositions
Les trois grandes organisations Combat, Franc-Tireur et Libération-Sud forment vite un comité de coordination, avant d’être fédérées en janvier 1943 au MUR (Mouvements unis de Résistance). Le 27 mai 1943, Jean Moulin préside la première séance du Conseil National de la Résistance (CNR), qui regroupe en assemblée les huit principales organisations clandestines, la CGT, la CFTC et les plus gros partis politiques (du Parti Communiste français à la Fédération Républicaine…).
Les quatre missions de Jean Moulin :
- unifier la Résistance pour libérer le pays,
- placer la Résistance sous l’égide de De Gaulle, les Américains réclamant un leader, une tête, à qui parler,
- associer un maximum de partis politiques à cette cause afin de renforcer De Gaulle, sachant que les Alliés ne juraient alors que par le général Giraud, rival de De Gaulle,
- défendre bec et ongles une autonomie de l’Armée secrète (que cette Armée clandestine soit équipée en vue du jour du débarquement de troupes alliées de libération).
Une tâche immense pour Jean Moulin, puisque bien des chefs de la Résistance, notamment Frenay, acceptaient De Gaulle comme chef symbolique mais voulaient être traités comme des pairs, et non comme des subordonnés. Ils veulent cibler à leur guise leurs actions, et non se voir dicter par Londres les procédures et les cibles. Aussi, ils étaient révulsés de cette association à eux de certains partis politique jugés comme ayant compromis la France lors de la défaite de 1940.
Frenay, René Hardy, Klaus Barbie : une série de coups durs pour Jean Moulin
Malgré les oppositions, Jean Moulin parvient à structurer ce tout, en plaçant Delestraint général en chef de l’Armée secrète. La question, le 21 juin 1943, à Caluire, de la capture de Jean Moulin par un commando des services de sécurité nazis conduite par son patron de l’antenne lyonnaise Klaus Barbie, demeure, au sens où des chefs de la Résistance auraient-ils vendu la mèche de cette réunion ? Impossible à envisager. C’est plutôt le résultat d’une série de coups durs et de mauvais concours de circonstances.
Si, déjà, le 9 juin, le général Delestraint est arrêté, station de métro La-Muette, c’était lié au système de réseau des « boîtes aux lettres » secrètes des résistants, surtout de six de ces « boîtes aux lettres » dont les Allemands avaient pris connaissance, et qu’ils surveillaient, interceptant les messages et missives des résistants.
Le réseau des « boîtes aux lettres » est en partie surveillé par les Occupants
Le 27 mai 1943, par courrier secret, déposé en « boîte aux lettres », le général Delestraint avait fixé rendez-vous pour le 9 juin, à René Hardy, membre de Combat et coordinateur et superviseur en chef des sabotages ferroviaires… Le 9 juin le chef de l’Armée secrète, Delestraint, tombe… Le rôle de René Hardy au moment des faits ? Transmettre les actions de sabotages ferroviaires à mener lorsque les troupes alliées seront sur le point de débarquer, pour paralyser l’armée allemande. Le souci pour René Hardy, vis-à-vis du réseau clandestin des « boîtes aux lettres » de la Résistance, est qu’il est pisté, suivi, surveillé. Et que la « frémissante » et « sémillante » Lydie Bastien, dont il était tombé amoureux, est depuis fin 1942, une recrue des Occupants nazis, et fricote avec un membre du SD (services de sécurité nazis). Arrêté le 10 juin, René Hardy voit Klaus Barbie (chef du SD lyonnais) lui proposer de travailler pour ses services. Un document allemand du 19 juillet 1943, le rapport Flora, cite René Hardy comme un agent double.
Le général Delestraint est arrêté, le mouvement Combat aspire alors à obtenir le leadership militaire de la Résistance
La fin de Delestraint, remit en appétit et en aspirations au leadership militaire de la Résistance, les membres du mouvement Combat. Jean Moulin flaire ce danger et nomme rapidement Aubrac responsable de l’Armée secrète au nord, le colonel Schwarzfeld au sud. La réunion du 21 juin 1943, prévue à Caluire devait justement servir à valider cela. Alors qu’il ne devait pas y être invité, René Hardy y est présent, filé qu’il est. René Hardy avait été invité par Henri Aubry, sans que Jean Moulin ne le sache en amont. Henri Aubry voulait contrecarrer tous ces chefs affiliés et fidèles à Delestraint, qui étaient conviés à cette réunion de Caluire du 21 juin 1943, Aubry ayant été placé par Frenay (leader du mouvement Combat) auprès de Delestraint comme son chef de cabinet. La présence de René Hardy, au fort tempérament, devenait vitale pour Aubry, et pour Frenay et son mouvement Combat, s’ils voulaient contrecarrer ces nominations de Aubrac en chef de l’armée secrète au nord, de Schwarzfeld au sud. Ils veulent emporter le gros du morceau en voyant quelqu’un de Combat prendre le leadership militaire de la Résistance.
Un commando interviendra. Reny Hardy parviendra à s’enfuir. Jean Moulin sera arrêté. René Hardy sera blessé, sera amené à l’hôpital de la Croix-Rousse, dont il s’évadera le 3 août.
Sont tombés ce 21 juin 1943, à Caluire :
- Raymond Aubrac et André Lassagne (Libération-Sud)
- Henri Aubry (Combat)
- le colonel Schwarfeld (France-d’abord)
- Jean Moulin.
Le faciès de Jean Moulin est particulièrement un mystère absolu pour Klaus Barbie. Ce n’est que le 23 juin que Jean Moulin finit par être démasqué. Torturé, transporté le 28 juin à Paris dans un état très critique, Jean Moulin est transféré le 8 juillet à Berlin.
René Hardy a été innocenté lors des procès tenus en 1947 puis 1950 : acquitté deux fois. Caluire demeure mystérieux, donc. Ses circonstances… Ses principaux protagonistes… Rien ne prouve quoique ce soit. Un mystère, cette arrestation de Jean Moulin !