Aux origines de nos langues indo-européennes : une révolution linguistique se diffuse il y a 10 000 ans du « foyer » Sud-Caucase vers l’Europe et, à l’Est vers l’Inde
L’idiome original commun des langues indo-européennes parlées de l’Inde à l’océan Atlantique actuellement, est le « proto-indo-européen ». Où était-il parlé ? A partir de quand était-il parlé ?
Le vocabulaire et les champs lexicaux utilisés jadis par la langue « proto-indo-européenne », permettent une vraie description des paysages steppiques et de la flore du Sud du Caucase. Les steppes du Sud-Caucase voyant des dompteurs de chevaux et des tribus nomades les parcourir d’Ouest en Est et du Nord au Sud, sont le « foyer linguistique » des langues indo-européennes. Lesquelles, comme leur nom l’indique, sont de nos jours parlées avec de plus ou moins fortes variantes, depuis l’Inde jusqu’aux côtes de l’Atlantique.
Plongé dans un paysage steppique, l’Homme est en véritable monde ouvert, où les échanges, les rencontres et les pistages d’autres hommes sont facilitées. En monde ouvert, le champ de visibilité est en effet accru, les échos de la voix sont forts et transportés par les vents, l’installation de campements et les migrations après un travail de reconnaissance des environs sont grandement facilités.
Les Hommes du Néolithique reproduisent il y a 10 000 ans, une « révolution linguistique » réalisée par l’Homo Ergaster il y a 1,5 million d’années…
Ce monde ouvert steppique rappelle à peu près le milieu environnemental de ce très vieux ancêtre africain commun, Homo Ergaster, ou « homme artisan », du latin ergaster (du grec ancien ἔργον, érgon, « travail »), apparu il y a 1,9 millions d’années, qui, descendant de l’Homo Habilis vivant en forêts, réalise la sortie très fréquente du milieu forestier pour s’aventurer, s’établir et migrer durablement dans le monde ouvert des savanes, il y a un million et demi d’années de cela.
Cette transition majeure de la vie forestière vers celle des savanes a eu un impact significatif sur le développement physique et cognitif de cette espèce humaine Homo Ergaster. De cette transition du milieu fermé de la forêt vers le milieu ouvert de la savane, cet ancêtre Homo Ergaster voit sa propre espèce développer lentement, progressivement, mutations génétiques et évolutions significatives de l'anatomie de sa boîte crânienne, machoires, pharynx, larynx... Ces changements permettant le développement d'une faculté nouvelle, meilleure, plus élaborée du langage articulé.
La nécessité de parcourir de longues distances à la recherche de nourriture aurait favorisé les membres de la population, capables de marcher sur de plus longues distances, ce qui aurait pu entraîner des changements anatomiques dans les membres inférieurs.
En ce qui concerne les changements anatomiques au niveau de la boîte crânienne, des mâchoires, du pharynx et du larynx, ceux-ci peuvent être liés à plusieurs facteurs. Par exemple, une alimentation différente dans les savanes pourrait avoir nécessité une adaptation de la mâchoire et du système digestif. La nécessité de communiquer sur de plus longues distances dans un environnement ouvert pourrait avoir encouragé le développement d’une capacité de langage articulé plus sophistiquée, ce qui aurait nécessité des changements dans la structure de la gorge et de la bouche, mais aussi à plus long terme de l’aire de Broca et l’aire de Wernicke (l’aire de Broca est en charge de la production et l’articulation des mots, tandis que l’aire de Wernicke intervient dans la perception des mots et des symboles du langage ou dans le traitement des paroles entendues).
Ce développement inouï d’un langage plus élaboré il y a 1,5 million d’années, permit à l’Homo Ergaster de communiquer des idées complexes et abstraites et ce langage devint une « arme » inédite pour oser s’aventurer de plus en plus loin, pour réaliser une expansion géographique large, elle-même favorisant le développement d’un sens de l’adaptation à une grande variété de conditions environnementales.
Domestication des chevaux il y a 8000 ans, et diffusion du proto-indo-européen depuis les steppes du Sud-Caucase vers l’Anatolie et l’Inde, puis l’Europe…
Il y a 10 000 ans, ce « foyer » linguistique du Sud-Caucase peut être étayé dans sa datation, par l’ « invention » historique du cheval domestiqué, vers 8000 ans avant notre ère. Soit la première datation possible donc, vers 8000 ans avant notre ère, de ce foyer linguistique du proto-indo-européen. Nous pouvons maintenant affiner cette première datation, par une autre datation issue d’un champ historique différent mais contemporain de l’émergence du langage proto-indo-européen : le champ historique de l’invention de l’agriculture. Le savoir-faire agricole de l’Anatolie est alors en ces temps, puissant, l’Anatolie étant un « foyer agricole » majeur du fait qu’il est en contact, parfaitement relié, avec le reste du Levant.
L'expansion de la langue proto-indo-européenne, qui donnera une arborescence fouillée de langues diverses bien plus tard, est aussi liée à celle de l'agriculture, dont l'Anatolie (que l'on peut appeler aussi « Asie Mineure ») est un des foyers majeurs, entre 9500 et 6000 ans avant notre ère. Si l'on doit résumer la zone d'impulsion initiale des langues indo-européennes, elle est située entre l'Est de la Turquie actuelle et l'Azerbaïdjan.
Le schéma qui peut dès lors être tracé de l’expansion des langues indo-européennes commence par un début de diversification que l’on pourrait placer il y a environ 6500 ans, avec la formation, à partir d’une souche commune, de quatre troncs, :
- les langues anatoliennes (hittite, lydien, louvite, etc.),
- un tronc donnant le grec, et d’autre part ce que l’on a appelé le rameau arméno-aryen, menant d’un côté à l’arménien, et d’un autre aux branches indo-iranienne (langues iraniennes) et indo-aryenne (langues indiennes, formées à partir du sanscrit),
- Un tronc à partir duquel se formeront plus tard les langues celtiques (nées d’un proto-celtique) et les langues italiques, dont la branche du latin débouchera sur les langues romanes,
- un dernier tronc dont découlent d’une part les langues germaniques (groupe de l’allemand, et groupe du scandinave, dont faisait partie le gothique), et d’autre part les langues balto-slaves (langues baltes et langues slaves).
Le proto-indo-européen formait ses mots surtout par suffixation. Il avait huit cas de suffixation: nominatif, accusatif, ablatif, génitif, locatif, datif, premier et deuxième instrumental; il distinguait les trois nombres et les trois genres. Quant à la phonétique, le système des voyelles aurait été très simple, selon les uns (a, i, u), très compliqué, selon les autres (a, i, u, e, o, r, l, m, n, etc.); les premiers disent que les consonnes employées n'étaient que les suivantes : k, t, p; g, d, b; gh, dh, bh; m, n; r, s; h, et deux semi-voyelles, y et w, mais les seconds admettent un bien plus grand nombre de consonnes.
Touchant l’Anatolie centrale vers 8 300 avant notre ère, la révolution néolithique se diffuse vers l’Ouest, atteignant les côtes égéennes et le Nord-Ouest de l’Anatolie avant 6 600 avant notre ère, et de manière simultanée vers l’Europe. Les études suggèrent que ces populations constituées de chasseurs-cueilleurs ont adopté des pratiques d’agriculture et d’élevage à côté de pratiques traditionnelles de chasse et de cueillette. Les premiers Anatoliens du Néolithique central et les premiers migrants néolithiques se propageant en Europe ont un ADN quasiment similaire.
Environ 6 500 ans av. J.C., les populations d’Anatolie et du Caucase du Sud ont commencé à se mélanger génétiquement, résultant en un mélange distinct qui s’est progressivement propagé dans toute la région, du centre de l’Anatolie au sud du Caucase et aux montagnes de Zagros dans le nord de l’Iran d’aujourd’hui.
Parmi les sites néolithiques on peut citer Çatal Höyük et Göbekli Tepe. L’occupation du site mythique de Troie, situé à l’ouest de l’Anatolie, débute aussi pendant le Néolithique.